Marathons 66/100 : 38 km, (Svilengrad – Edirne) – Bienvenue en Turquie
Annoncé 52 et finalement arriver au même endroit en 38 km, il y a un secret ! Ça s’appelle la highway.
Ça ressemble à une autoroute pour passer de l’Europe à la Turquie. C’est ce qui explique que toutes les cartes me l’ont refusées.
Mais le jeune homme à l’hôtel était lui assez sûr que je ne déclencherais pas un marathon de la police si je tentais la 4 voies. J’ai opté pour l’avis humain contre les algorithmes du monde…
Ça a marché pour cette fois… Heureusement !
On annonce 40 degrés à l’ombre demain et là, inévitablement, ce sera 55 km.
À partir de 14h, je sais que sur la route je suis quasiment bloqué par le couple chaleur/mes capacités physiques. Il va donc falloir bien avancer dès le départ.
Un gros effort mais qui me rendra ensuite plus serein pour être à 16h le 8 août à l’ambassade.
Mais le plus intéressant à partager, c’est la découverte de la Turquie. Il faut bien voir que je suis quelqu’un qui a très peu voyagé. Qui n’en n’a même pas le goût pour tout vous dire.
Probablement parce que les aventures qui se passent dans ma tête dépayseraient beaucoup Indiana Jones.
J’écoute des podcasts sur l’histoire et la géopolitique turque pour essayer d’être moins perdu.
Très difficile à résumer les aléas de l’histoire de ce territoire, de ce peuple, de ces individus pris entre les autres et désirant faire leurs places.
J’ai retenu cette conclusion. Si tu perds tes ambiguïtés, tu perds ton indépendance.
L’occident porte le germe de la décadence mais on essaie de commercer avec lui, de s’intégrer même à l’Europe, peut-être pour le convertir. Il y a cet attachement à la religion, qu’on utilise ou dont on se méfie. Il y a cohabiter avec ses multiplicités ethniques mais n’avoir qu’un chef devenu indéboulonnable depuis 20 ans. Son beau fils fabricant des drones militaires très réputés et utilisés. Il en vend beaucoup en Ukraine ces temps ci.
Dès que j’ai passé la frontière, il y a des nets changements très concrets. On m’interpelle en toutes circonstances. On veut me parler. J’adore.
Ils voient bien que je suis arrivé là en courant. Alors je les vois halluciner ! C’est à dire se demander où est la réalité qu’ils croyaient pourtant, la seconde d’avant connaître. Quant à la destination, comme ailleurs, il n’y a pas de commentaires.
Je crois qu’ils sont bien placés pour me dire “pourquoi pas déjeuner en paix?” Rien qu’y penser, ça leur coupe l’appétit tiens. La vie n’est elle pas déjà assez compliquée.
La Syrie, le Liban où tu risques ta vie, c’est comme l’Espagne ou l’Italie pour nous. Ce sont les voisins.
Ainsi en arrivant je déguste le houmous et mon premier thé depuis bien longtemps. Les pieds à l’air et les chaussettes en boule par terre. A 50m, quelqu’un me hèle. Hurle “Mbappe”. Pour dire comme on a du commun.
Au moment de payer, désireux de lui montrer combien nous sommes tous exceptionnels en France. Je saisis le rubbi-cube sur le comptoir. Ma fille le termine en 22 secondes. Je suis son père bon sang me dis-je.
Vous verrez la photo, je m’excuse auprès de la Nation. J’étais fatigué.
Et puis je trouve une pension où faire la sieste. A la télé, les chaînes d’infos tournent en boucle l’inverse de nous.
Ils ont tué le chef de nos amis (le Hamas) disent leur rassemblement. On voit les hommes, surtout les religieux déplorer. Implorer aussi le ciel de trouver la réponse que les hommes en colère et ceux de pouvoir ont déjà trouver.
Les mêmes réactions que nous dans les mêmes circonstances.
Tony Estanguet, tout à sa joie, explique comme ils ont été malins. Ils ont offerts les places aux supporters capables de chauffer l’ambiance, les autres.
Je crois que c’est ce que fait la télé. Elle amplifie les émotions, prépare les esprits, pour que leurs intentions se réalisent.
Mais ce qui me fascine, ce sont ces ruelles bondées de tous ces beaux visages. Moins soumis aux distractions que nous sans doute, ils jouent aux cartes, achètent des fruits dans leur hyper U qui est un marché grouillant, perpétuel et immense. Ils fument, parlent des enfants et de politique. Je les vois savourer la vie sans recours à la méditation.
Comment se fait-il que nous laissions un jour partir tout ça ? Que l’histoire salisse tout. Et qui donc écrit cette histoire ?
PS : après la sieste, panique ! J’ai oublié mes chaussettes au restaurant. En France, je pense qu’un tel vestige aurait été incinéré pour la santé de tous. Mais ici rien ne se perd. 2 coups de fil plus tard me revoilà avec mes armes de combat. L’homme qui a passé les coups de fil le sait, il vient de jouer un rôle clé dans l’histoire du monde.
PPS : encore une photo de voiture de collection. C’est surtout pour vous inciter à profiter du texte incroyable et probablement visionnaire de SamVabiencommeça. Voir marathon 64.
Antoine VERNIER, sociologue, vit à Angers dans une cabane sans eau et sans électricité.
En 2022, il court 23 marathons de suite jusqu’à Davos. De ce voyage, il réalise un documentaire « Et si on parlait d’amour !? » et en écrit un livre qui porte le même titre.