Semons l'Amour

Marathon 87/100 : 36 km, (Isparta – hôtel Mylos)

Jusqu’à quel point je crois à l’Amour ?

Quand j’arrive enfin, je vois le havre de paix. Là, au milieu des montagnes, des cailloux, des chemins et de la chaleur, il y a cet éco-camping. Avec les chèvres, les daims, les terrasses ombragées, les chaises longues colorées, la piscine dont la ligne d’eau se projette sur la vallée et puis ces cabanes en pierre et en bois qui feraient un magnifique nid pour mon corps endoloris.

Il ne manquerait plus qu’il y ait une bière, des chips et une guitare.

Je le sens…

Simon, Éléa, je suis désolé, je crois que je vais m’installer là pour la suite.

Pour la guerre, pareil, voyez entre vous !

Sauf que, il y a une barrière fermée à mon arrivée. Introspection !

Admettons qu’on ne m’ouvre pas, il n’y a rien, pas même un village, avant des dizaines de kilomètres. Hum ! Pourtant, je ne ressens aucune inquiétude…

Un monsieur vient m’ouvrir. Ahhh !

“Non pas vraiment de réservation !”

A ce moment-là, je vois la guitare, la bière dans le frigo, à côté du bureau du monsieur.

Oui je suis sur le bon chemin. Merci Seigneur ! 😌😁

C’était pas trop difficile aujourd’hui. Comme j’avais moins de kilomètres, j’ai attendu le petit déjeuner de l’hôtel à 7h30. C’était une route de montagne sans voiture, avec des fontaines. La seconde peau a bien joué son rôle.

Sur la route, km14, au milieu de nul part, j’entends qu’on me hèle. Pas vraiment envie de m’arrêter, il commence déjà à faire très chaud. Mais Mehmetali Evecen vient à moi. Oui, le vrai Mehmet Ali !!! Le boxeur lui a tout piqué. Ah ces américains !

Il a la douceur dans le regard. Il est garde forestier. Beaucoup d’élagage et d’abattage au quotidien ici. Il n’y a pas internet dans cette zone. Il m’indique la route et surtout, son regard me remonte le moral.

J’entends en ce moment beaucoup “comment savoir ce qui est vrai ? Qu’est-ce qui est important ? Ne doit-on pas laisser les problèmes du monde pour se concentrer sur notre propre bonheur ?”

Mais oui quelle idée de vouloir articuler le Je au Nous ! De penser que chaque élément du grand Nous fait partie de l’épanouissement du Je ! De tenir ainsi à chacune de ces parties du Nous.

La réponse à ces doutes, elle est dans les yeux de Mehmet Ali.

Et puis il y a eu cet homme âgé que j’ai doublé. Il avait la moitié droite du visage totalement déformé. Assez impressionnant !

Je m’arrête à la mosquée. Pour boire et m’endormir 5 min. En me réveillant, je vois cet homme. Avec son visage.

Il est ravi de me voir. Il cherche à me mettre à l’aise. Rapport au lieu où nous sommes. Il sourit d’étonnement de deviner mon aventure. Il parle de la chaleur et puis de son visage et de bien d’autres parties de son corps abîmées. “C’est pénible à vivre” confesse-t-il.

On est là dans le sanctuaire des dieux et il interroge finalement “pourquoi ça lui arrive à lui ?” “Peut-on espérer une issue heureuse ?”

Je suis en compassion avec l’humanité entière à travers lui. Je n’ai pas les réponses. Je tente un “inch’Allah” désemparé et qui veut croire que nous aurions raison de rester confiant.

Au km26, il y a un village. Un grand espoir pour le changement de mon monde : un café.

Dans le grand bar où sont rassemblés la moitié des hommes du village on concède avec plaisir à me préparer cette boisson sans intérêt. Discussions pas forcément fluides avec ma tablée. Des hommes édentées, des gros, des fatigués… Et puis arrive celui qui a un Marcel. Il y a un silence lorsqu’il commence à entrer en parade. Il marche les bras et les jambes écartées comme attendant quelqu’un à affronter. Son énergie s’impose à tous. Il règne.

C’est lui qui me fait payer en partant. Il est sûr d’être puissant. Ma compassion est là plus grande encore que dans l’enceinte de la mosquée. Ma compassion elle est pour lui mais surtout pour tous ceux qui le laissent enlaidir le monde.

Pourquoi j’ai cette force sur ces grands enjeux ? Et pourquoi sur vivre l’Amour, moi, concrètement, avec une personne de chaire et de sang, je peine à pleinement y croire aujourd’hui ?

A cause de l’autre sans doute. Parce que je le reconnais mieux dans son mystère.

A cause de la confiance que j’ai en elle. Cet autre. A cause de la confiance que j’ai en moi et en la vie finalement. Qui peut prétendre à la Foi totale ?

A cause que peut-être la vie a ses raisons.

Et que c’est mieux pour notre apprentissage que l’on ne sache pas tout.

Si le temps existe, c’est peut-être juste pour cela. Pour que notre chemin puisse continuer.

En attendant, je suis à 55 km des toboggans d’Antalya glissant jusqu’à la Mer.

Est-ce que je les verrais demain ?

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