On ne peut pas savoir la portée d’un sourire.

Marathon 83/100 : 34 km, (Suhut – Sandikli)

J’ai un autre frère. Il s’appelle Jérôme. Il n’a pas Facebook. Il est trop vieux .

C’est mon grand frère et c’est son anniversaire. Quel mois d’août !

Pour parler de lui, je raconte souvent à mes enfants cette anecdote.

Je sortais de l’enfer des petites sections que je me suis retrouvé perdu dans l’immense cours du CP.

J’echangeais avec mon ami imaginaire à propos de l’endroit où allaient les âmes quand les gens mouraient, lorsqu’un enfant, avec une tête de crapaud, s’est mis à sauter devant moi d’un air menaçant. Voire bavant !

Je me souviens que je ne pouvais plus bouger. La peur m’avait paralysée.

Et puis mon frère, qui était en CM1, comme par miracle, est arrivé. Il a attrapé le garçon crapaud par les épaules. J’ai alors vu la source de mes peurs voler jusqu’à un endroit de la cour où mes yeux ne pouvaient pas porter.

Voilà mon grand frère il est très fort, il a la science de l’espoir aussi et si tu le croises, il va juste chercher à rire avec toi. Sauf si tu m’embêtes donc.

Alors j’étais heureux de prendre la route pour honorer qui il est.

Ça lui aurait plu. C’était la traversée d’une montagne. Grimper jusqu’à 1900 m et redescendre 34 km plus loin.

Le problème, c’est que d’après Google il y avait très peu de maisons. Aucun commerce. Ça me paraissait un peu difficile avec juste l’eau des fontaines mais j’étais parti pour faire confiance dans les capacités d’adaptation de mon corps.

Et puis j’arrive dans le cœur de la montagne km11. Miracle, il y a une toute petite porte sur des murs blancs et un présentoir avec des paquets de chips…

Ça alors !

Un homme âgé lit le journal à l’intérieur. Les lunettes sur le nez, la canne posée à côté.

C’est Mahmut. Il est étonné de me voir. Moi je suis dans la gratitude. Je lui achète un paquet de gâteaux. Je les mange assis à l’ombre, sur le trottoir.

Il vient me rejoindre. J’aime sa présence.

Il a une incroyable douceur dans les yeux. On se sourit, on commence à parler. Comme on peut…

Il me parle de son fils qui est imam lorsqu’arrive sa fille. Elle est allée à Gaza. Ils vivent ici pour s’occuper de la femme de Mahmut. Elle s’éclipse et revient quelques minutes plus tard avec un plateau prévu pour un Roi.

Il est rempli de nourriture délicieuse.

Son mari ne tarde pas à nous rejoindre. Puis c’est au tour d’un voisin, puis de leur fille : la belle Ruveyde. Elle parle un peu anglais.

Recevoir autant d’amour, participer à autant de joie, c’est difficile de décrire la légèreté d’esprit dans laquelle cela vous place. Surtout quand elle est si inattendue et si intense.

A cet endroit, dans ce village de Kavakli, il me semble nous avons vu qu’il existe un royaume de paix entre les peuples du monde.

Déjà hier soir, il y avait ce truc que dès que je sortais je me retrouvais à parler avec ceux que je croisais.

D’où cette photo avec les jeunes dans ce restaurant. Behiç, Behlül, Ahmet, Samet, Abdullah, Onur.

Je leur ai dit qu’ils cuisinaient aussi bien qu’ils étaient beaux. Ça les a fait rigoler mais l’un d’eux m’a quand même demandé : mais qu’est-ce que tu veux dire en fait ?

Cher Jérôme, tu m’as souvent dit qu’on ne peut pas savoir la portée d’un sourire. Mon corps a de plus en plus de mal à avancer, mais je reçois tellement de ces sourires que j’ignore comment mon ADN parvient à tout stocker. J’ai un plaisir à être là que tu ne peux pas imaginer. Je sais que je ne suis presque pour rien dans tout ce qui m’est offert. C’est ça qui me bouleverse le plus.

Et j’ai comme la sensation que tout cela me prépare à quelque chose.

Sinon, ça t’intéressera peut-être, Joël et Alexandre ils m’avaient aussi poser quelques questions avant de partir.

Voici la vidéo. C’est l’avant dernière vidéo interview. Celle de demain, c’est celle de Joël qui m’a accompagné en vélo. Tu comprendras demain pourquoi je suis heureux de lui laisser le mot de la fin.

J’ai vraiment beaucoup de chance qu’on soit frère pour toute la vie.

Bon anniversaire.

Antoine