Hier après le bon kebab, on a couru se mettre à l’abri sous le porche de l’église. On déplie la tente.
Inconvénient, l’église est sur la place du village. Les adultes ouvrent des yeux étonnés, voire un peu plus… Joël leur sourit pour les rassurer. Et puis il y a son vélo avec cet étendard où il est inscrit “Jérusalem”.
Une enfant de 11 ans passe. Je détecte sa curiosité. “Cela doit t’étonner de voir une tente installée ici !?”
– “euh, oui quand même !”
– “tu sais où on va ?”
– “à Jérusalem” s’exclame t elle, soudain enthousiaste et radieuse. “ma classe vous a vu hier à Chambord”.
Mais le plus touchant, c’est à l’épicerie. Le monsieur veut absolument m’expliquer d’où viennent tous les produits qu’il vend. Les oeufs dont il a visité la ferme, les tisanes d’une jeune femme, les sirops d’un couple à quelques kilomètres de là…
Et il dit “ah ben vous êtes l’attraction aujourd’hui. Il ne se passe pas grand chose ici. Moi j’aime les voyageurs. Quand j’ai vu la pluie, je me suis dit, ils ont bien raison de s’installer là. C’est le principe de l’église d’accueillir ceux qui en ont besoin. D’ailleurs je serais venu vous proposer mon jardin si vous n’aviez pas démonté votre tente”.
A ce moment là, il ne savait pas encore ni où nous allions, ni pourquoi nous y allions.
Alors une larme s’est invitée dans l’un de mes yeux, voire les deux…
Mais hier soir, nous avions rendez-vous avec l’accueil exceptionnel Picard. En l’occurrence, celui de Willy, Olivia et Julie. Nous nous étions rencontré 2 ans plus tôt lors de mon périple jusqu’à Davos.
Il y a le plaisir de se revoir, se reconnecter à l’histoire commune, approfondir la connexion.
Willy a préparé des gâteaux en forme de coeur, des pâtes complètes sourit-il pour mes jambes “et une entrecôte pour les muscles”. On écoute Sinéad O Connor, on disserte sur le monde, Joël joue dans la langue de Bora Bora.
Et puis Olivia insiste pour que l’on ait chacun une chambre.
Dans l’interview qu’ils nous accordent, ils disent des choses simples et justes je crois “l’électricité est plus cher, tout est plus cher, alors les vols augmentent, l’agressivité de manière générale. D’un autre côté, on se recentre sur l’essentiel, ce qui nous fait du bien “.
Bref, lors de cette soirée, nos cœurs et nos corps ont été réchauffés par le vent du Nord.
A 6h je pars, nourri des fameux oeufs frais de l’épicerie et des fraises du jardin d’Olivia.
Mais j’oublie mon bidon d’eau. Pas grave, il y aura sûrement plein d’autres fois où j’aurais à faire face à l’absence d’eau dans des conditions beaucoup plus compliquée.
Je peine à dépasser les 7 km/h pendant les 30 premières minutes. C’est tout de même le 5e marathon. Mais je me dis que si je parviens à boucler les 48 km du jour, demain il n’y en aura que 33.
J’atteins Yvoy le marron. Km 16. Patience.
Je reconnais Sébastien l’épicier. Enfin de l’eau que je peux lui acheter.
Joël et Patricia de l’auberge du cheval blanc, un peu plus loin, ne servent pas de café. Ils ne font qu’hotel. J’insiste. Je sais que j’ai peu de chance d’en trouver après. C’est le mot “Jérusalem” qui ouvre l’exception. Patricia m’explique son refus : “on ne veut pas faire bistrot. Les gens ne se rendent pas compte ce que c’est qu’avoir la journée entière un homme ivre, assis au comptoir qui dit des conneries”.
Je pense à la phrase : “aimer c’est voir “. Oui je ne me rends pas compte ce que c’est que vivre ce type de journée…
Alors si je ne me rends pas compte pour elle, comment le pourrais-je pour les situations tellement plus dramatiques.
En les saluant, je leur dis “bon et bien j’ai été ravi d’être votre pilier de bar aujourd’hui”. Et nous sourions ensemble.
Les 16 km suivants étaient plus difficiles mais je pensais à mes enfants qui doivent me rejoindre en Croatie. Je dois être à l’heure…
J’atteins enfin Vouzon. Au loin un groupe d’enfants et leurs 2 maitresses. Les enfants marquent tous un temps d’arrêt en apercevant ma silhouette.
Alors j’accélère et les poursuis dans la rue parallèle. Les maîtresses m’autorisent à leur parler. Je sais qu’ils vont se souvenir de cette rencontre. Alors j’ose.
Je m’entends dire ces phrases : “je vais à Jérusalem parce que c’est notre ville à tous. (Vos maîtresses vous montreront. D’ailleurs elles venaient d’en parler) Là où l’on a parlé d’amour. Mais des hommes se chamaillent gravement là bas (c’était des CP CE 1). Moi un jour je vais mourir, et ce sera vous qui ferez ce monde. Alors je voudrais que vous puissiez continuer à suivre l’élan de votre coeur”. J’ai essayé de tous les regarder et j’ai dit “je vous emporte tous dans le mien de cœur”.
Alors juste après, en débarquant dans la boulangerie de Tiffany, je lui ai dit qu’elle était belle. Parce que c’était vrai et parce que quand on est dans la joie que m’avait donné ces enfants, on dit plus facilement ce qu’on pense.
C’est là que tout a basculé. J’étais tellement sûr que c’était tout droit après Vouzon, que je n’ai pas regardé la carte sur le téléphone.
C’est seulement à la ville suivante que j’ai observé sur Google maps le point bleu de position s’éloigner gravement de mon itinéraire.
Je venais de faire 40 km. Et il m’en restait non plus 8 comme prévu mais 20…
Dépité, mon premier réflexe a été de me dire je vais faire 42 et puis finir en Stop. J’avais déjà tellement mal aux jambes que j’ai pensé que c’était inatteignable à pied et de nature à compromettre le projet.
Mais 1 minute plus tard, j’ai pris la décision de les faire en courant. Pourquoi ?
Parce que si je monte dans une voiture, même un kilomètre, je serais déçu de moi. Alors mon super pouvoir de l’amour s’envolera. Rien n’aura plus de sens.
Je m’étais aussi engagé à suivre le chemin que me proposerait la vie sans discuter. En ayant confiance dans le fait que même s’il y a a priori des épreuves, j’essaierai de considérer qu’elles sont là pour m’aider.
Et puis je me suis dit que si je parvenais à faire ces 60 km, je prendrais une bonne dose de confiance dans les capacités de mon corps, j’engrengerais aussi une bonne expérience qui pourra me resservir plus tard. Par exemple pour penser que 50 km c’est pas tant que ça.
Et sans doute encore d’autres bénéfices que je ne vois pas encore…
200 m plus loin, devant mes pieds, dans le béton, un coeur détouré…
Ce qui est trop marrant, c’est que ce sont sur ces 20 derniers kilomètres que j’ai eu le plus de plaisir. Google m’a proposé des sentiers entre les étangs au milieu de la forêt et j’avais enfin l’impression de faire du sport. Pas juste un projet.
Enfin devant moi le panneau d’Isdes se dévoile. Je saute de joie (intérieurement).
Joël me retrouve facilement et il a préparé tout le campement dans un camping à 200m.
Comme sur des roulettes.
A demain à #gien
PS : merci Lullasauvage pour la sollicitation de France Inter.
C’est grâce à vous dorénavant si on entend parler de cette idée.
PPS : Merci à tous de vos soutiens. C’est vraiment très précieux.
PPS : Merci à la personne qui m’a conseillé les graines d’orties. Ça m’a grave boosté pour les 20 derniers. Et désolé pour les marguerites sacrifiées.
Antoine VERNIER, sociologue, vit à Angers dans une cabane sans eau et sans électricité.
En 2022, il court 23 marathons de suite jusqu’à Davos. De ce voyage, il réalise un documentaire « Et si on parlait d’amour !? » et en écrit un livre qui porte le même titre.