La journée d’hier était incroyable. On a pu boire un verre avec Ludovic et Karine du restaurant d’Herbault. Ensuite dîner grâce à Amine qui est la gentillesse incarnée pendant que nos portables se rechargeaient sur les prises de son épicerie. Et enfin, en sortant, je dis à Joël :”il ne manque plus qu’une douche”…
Et là je vois des joueurs sur le stade. A côté de notre campement à l’ambiance pluvieuse. “Est-ce que par hasard, je retrouverais Matthieu qui avait emmené mon camion sur cette étape il y a 2 ans ?”
De très loin, je sais que c’est lui. Ce garçon au cœur d’or. Lui me dira “j’ai senti que c’était toi”.
On n’est même pas étonné. On sait bien, sans oser le dire, qu’il se passe quelque chose qui nous échappe et qui est l’essentiel.
Le club de foot nous ouvre un vestiaire rien que pour nous.
Alors je me suis couché comblé de bonheur.
Mais au matin, patatra. Le téléphone n’a pas sonné. Normal, la batterie est a 0%. Ce qui est peu.
Pas de méditation, pas d’indication pour la route et je dois vite me hâter en laissant, confus, le soin à Joël de tout gérer.
Évidemment, je n’arrive pas à courir. Le corps est tout raide, douloureux. Mais, j’ai hyper bien dormi.
Alors, je vois ça comme d’immenses cadeaux. Ce qui compte ce n’est pas que j’ai un téléphone pour enregistrer des images. Ce qui compte c’est que je sois reposé pour avancer et créer ces images, ces rencontres, les vivre.
J’aimerais que des journalistes, des personnes dont le métier est de faire des images et de les diffuser viennent suivre ce chemin. C’est un appel “David pujadas, Steven Spielberg, si vous m’entendez!”
Partout Joël et moi voyons de la lumière éclairer les visages.
Comme à Blois, que je finis bonhomme allant par atteindre, où je me sens attiré par l’hôtel restaurant du Boss. C’est comme ça que tout le monde l’appelle me dit-il en souriant.
Il aime l’Algérie, il voit tant de monde, tant de points de vue différents. Il explique : “tout le monde est touché par cette guerre, comme toute guerre d’ailleurs. Mais on n’en parle pas trop. Quelqu’un a été blessé, a mal alors il fait à son tour du mal. On se sent impuissant. C’est bien ce que vous faites. Ça amène de l’espoir”.
J’ose demander les vestiges d’un petit déjeuner abandonné par un autre client. Il me les offre de bon cœur.
Mon portable a repris un peu ses esprits. Je reçois d’Hélène et de Noël l’article du courrier de l’ouest rédigé par Zaoui Aynaou.
J’avais cette pensée qu’il faudrait que je m’occupe de faire parler du projet. Pour me décharger des images, augmenter la visibilité. Et voilà que Zaoui a rédigé un magnifique texte qui sera probablement lu jusqu’à Paris. Le reste sera la décision de chaque Homme.
Mais je pense ceci : “Puisque tout le monde est sensible à cette guerre, que le monde politique semble incapable d’y trouver parade, on pourrait imaginer qu’ils soient sensibles à ceux qui disent moi je vais essayer. Je crois que je peux réussir si vous êtes avec moi. Surtout quand toutes les personnes que nous croisons sentent qu’il y a quelque chose qui les touchent dans cette idée”.
En sortant de la brasserie je tombe pile poil sur Joël. Il y a beaucoup de routes possibles. Comme si j’avais la capacité de le retrouver dès que j’en ai le besoin. Je le prends dans mes bras pour reprendre de l’énergie, reprendre ma course.
Il me reste alors 26 km dans la forêt de Sologne. Très vite j’ai de nouveau plus de batterie… Alors, je mémorise du mieux possible le parcours, essaie de sentir le vent qui pourrait me guider et surtout je demande dès que je peux la direction.
J’éteins l’appareil pour garder de la batterie à l’arrivée.
Parmi les rencontres, Kevin et Valentin. 2 jeunes agents de l’ONF. Ils manipulent un drone. “Nous regardons du dessus les arbres en train de mourir”. “Les gens ne se rendent pas compte mais les chênes en particulier sont en train de mourir très vite”. “A cause du réchauffement global et de sol trop humide en ce moment”.
Je regarde ces arbres si beaux. A mes yeux, ils le sont plus encore dans cette situation de fragilité.
Kevin et Valentin ne savent pas dire si on doit être optimiste ou pessimiste. Ils disent “on va essayer du mieux possible d’accompagner le vivant, cette transformation”.
Je leur parle de la voie que j’emprunte. Ils m’indiquent Dhuizon, m’offre leur bidon d’eau au thé et on se dit “continuons”.
J’ai faim sur la fin. Je mange des pâquerettes géantes. C’est un message pour Valou. Était ce bien comestible ? Tu vois ce dont je parle ? Là aussi je me dis, tiens “et si tu faisais plus attention à la nourriture pour que ce soit moins difficile”…
A 500 m, le soleil perce. Joël m’a retrouvé. Nous filons immortaliser notre joie de terminer enfin cette 4e étape.
Puis nous allons dans un kebab qu’on nous a indiqué. Le seul restaurant ouvert.
Antoine VERNIER, sociologue, vit à Angers dans une cabane sans eau et sans électricité.
En 2022, il court 23 marathons de suite jusqu’à Davos. De ce voyage, il réalise un documentaire « Et si on parlait d’amour !? » et en écrit un livre qui porte le même titre.