Marathon 29/100 : 44 km, 1700 D+, 2200 D- (Refuge Halshutte – 1860 m – Ferrare)
Comme souvent les matins, je me demande si c’est le marathon qui sera celui de trop.
Il y aurait de quoi aujourd’hui, c’est le plus gros dénivelé du mois, exclusivement en sentier de randonnée donc plus long et il est pile après le second plus gros dénivelé qui était hier.
C’est précisément ici qu’on savait, avec Joël, qu’en vélo cela aurait été surhumain.
Alors j’ai pris mon temps et le parti de profiter de ce sud Tyrol incroyable !
Et ça a été ma plus belle journée je crois.
J’ai essayé de prendre des photos pour vous partager ce que la vie nous offre. Bien évidemment, aucune photo ne pourra être à la hauteur de ce qui seulement se ressent.
Je re-cite cette magnifique phrase de Christian Bobin : “ce qui peut s’expliquer ne mérite pas d’être compris“.
Pour bien ressentir cette phrase, je pourrais parler des différentes langues qu’on entend dans ces montagnes. La plupart des personnes parlent allemand. Parce que la Région a d’abord été occupée par des tribus germaniques, alémaniques et bavaroises. Mais nous sommes en Italie. Alors, il y a en plus cette langue officielle. Et comme c’est une région touristique, beaucoup parlent également anglais.
J’avais peur de la barrière de la langue.
Mais je m’aperçois que je ressens les personnes que je rencontre. Et je crois que c’est réciproque.
Quand l’envie d’échanger est là, j’observe que je mélange différentes langues pour que quelques pièces du puzzle que je suis permettent à mon interlocuteur de confirmer ce qu’au fond il savait déjà.
Je crois même que parfois les mots que j’utilise, je les puise dans la conscience de mon interlocuteur.
Mais il y a beaucoup mieux. Les plus beaux échanges que j’ai eu, je ne peux pas les raconter.
Il n’y a eu aucun mot. Notre connexion n’aura durée que quelques secondes mais elle avait l’empreinte de ceux qui vivent au même endroit. C’est comme si on se confirmait un secret que nous avions. Ce secret, c’est comme un endroit à nous et dont on ne parle jamais dans les journaux.
Ce sont le plus souvent soit des enfants, soit des personnes très âgées.
Les premiers me voient arrivés de loin. Ils se figent, cherchent leurs parents comme pour leur signaler que quelque chose de différent arrive.
Hier, il avait 10 mois. On l’aidait à carresser un baudet magnifique.
Mais c’est moi qu’il a fixé. Sa grand mère a insisté pour lui rappeler la hiérarchie des choses intéressantes mais ses yeux étaient sur moi. Quand il m’a sourit j’ai eu l’impression d’être démasqué.
Pour planer au-dessus des routes, ma conscience retourne dans l’endroit où l’on s’aimait. Ce n’est pas un lieu bien sûr. C’est une sensation. Que la course, que la liberté, que la nature m’aident à retrouver.
Dans cet endroit sensation, il y a cette herbe épaisse, ces fleurs et ces odeurs. Le bruit de l’eau, de la lumière qui scintille, des oiseaux qui jouent et qui nous regardent danser. C’est comme dans ces montagnes, mais sans le temps, sans l’espace, sans aucune souffrance.
Cet enfant me sourit parce qu’il m’a pris sur le vif. Il a vu où j’étais. J’étais là où à ce moment de sa vie il est encore. Il me sourit parce que nous sommes au même endroit.
Les personnes âgées, lorsque leur cœur est ouvert c’est encore plus intense.
Elles sont là et ailleurs. Leurs regards disent “ah, toi aussi tu sais pour les apparences ? Toi aussi tu sais pour L’Amour ?”.
Je leur réponds, “je sais, parce que je l’ai vu. Mais je n’y suis pas toujours. J’essaie d’y aller”.
Elles rient parce qu’elles profitent d’être là avant d’être ailleurs. Elles profitent d’être là ET ailleurs. Et c’est leur manière de me dire “tu te trompes mon petit, tu y es déjà. Moi je le vois “.
Et puis il y a les gens de mon âge, avec nos petits et grands problèmes. Mais parfois le miracle se produit. Il nous faut plus de mots. Il faut être plus attentif aussi pour guetter la personne, le moment.
Aujourd’hui c’était à ma pause à san vigilio. Km23. Sophia est serveuse dans ce café que je choisis pour son harmonie, ses fauteuils, leurs positions.
Un instant suffit pour sentir tout l’amour qu’elle veut donner. Les déceptions qu’elle a vécu, son étonnement face au fonctionnement du monde, son goût des autres.
Je la questionne sur les hôtels à mon point d’arrivée. Elle pose alors son plateau, termine quelques affaires et vient s’asseoir à côté de moi pour me conseiller.
Lorsque je finis par leur expliquer mon voyage, Erika, sa collègue, monte en énergie. Elle en parle à la ronde, salut le ciel qu’une personne passe dans sa vie pour dire que tout est possible. Qu’il suffit d’y croire. Et au fond elle y croit elle aussi.
Et puis, tout en haut du second col de la journée, je croise Marcel. Le même prénom que mon grand père. On est à 2276 m d’altitude. C’est un désert de cailloux balayé par le vent. Les rares randonneurs sont emmitouflés dans leurs parkas portant de précieux sacs à dos. Là, il y a Marcel et moi. Et lui, il voit un type en short et t shirt venu de nul part et ayant adopté 2 bouts de bois comme bâtons de marche en disant, dans 70 jours je serai à Jérusalem et je vais être de ceux qui vont aider à arrêter la guerre.
Alors il me fait un check, n’en revient pas et en même temps s’enthousiasme comme s’il attendait qu’enfin quelqu’un lui dise cela.
Bref, ce qui peut s’expliquer, ne mérite pas d’être compris.
Mais vous aviez compris j’en suis sûr. Parce que l’amour, personne ne peut l’expliquer, mais tout le monde sait de quoi on parle.
Si tout va bien, demain, je serais en Autriche. Lalala itou !
PS : Merci pour vos intentions, vos prières ! Manifestement cela aide
Antoine VERNIER, sociologue, vit à Angers dans une cabane sans eau et sans électricité.
En 2022, il court 23 marathons de suite jusqu’à Davos. De ce voyage, il réalise un documentaire « Et si on parlait d’amour !? » et en écrit un livre qui porte le même titre.