Marathons 60/100 : 56 km, (Ihtiman – Pazardjik) + 3 km d’erreur de parcours
“Il doit vivre aux Etats-Unis
Il doit jouer de la guitare
Et coucher sur les bancs des gares
Avec un regard bleu qui plane”
Jésus Christ – Johnny Hallyday – 1970
Heureusement, demain ça devrait être plus simple.
Chaque jour, je me dis, mais comment tu as réussi à faire ça…
Ça partait pourtant comme souvent moyennement.
J’étais un peu excentré du parcours. L’hôtel était contre l’autoroute. De sorte, que reprendre un bout d’autoroute m’aurait permis de réduire la distance de 4 km.
Mais ce n’était pas la sortie de Sofia où c’était dans une forme de continuité. Là, ça aurait fait vraiment bizarre.
Alors, en prenant ce “handicap”, de 4 km, sur une journée qui était déjà très longue, je savais que ça allait peser moralement.
La clé : essayer d’oublier le temps et courir le plus souplement possible. Faire des pauses régulières, chercher le plaisir malgré tout… Bref, être longtemps sur la route mais en économisant les forces.
Après la reprise du handicap, je pars sur un chemin sinueux de moyenne montagne. Très joli, mais très très long.
Puis un sentier de terre, légèrement ombragé, où pour une fois je fais une erreur de parcours. Ce qui est finalement très peu depuis le début. Je marche pas mal. Je peine à trouver mon énergie. Mais j’avance. Je me motive en regardant régulièrement les km parcourus.
J’arrive enfin, à 11h30 au km31. Plus que 25.
En temps normal, on pourrait croire que ce n’est rien pour moi 25 km. Mais après tout ça, avec la fatigue, les douleurs, la chaleur, la gestion de tout, la route, les ravitaillements, ça reste très long.
Alors j’ai pris 2h de pause dans un magnifique restaurant type guinguette de village. Histoire de manger, boire, reposer le corps et lire le journal en ligne.
C’est là qu’il s’est passé ce phénomène étrange. Mon téléphone s’est mis à grésiller. Et puis soudain est apparu un homme barbu et chevelu regardant la télé sur mon écran.
C’était comme si j’accedais, par caméra interposée, à son domicile.
On aurait dit un cabanon sur l’une des plages de San Francisco.
Voici ce que j’ai vu…
L’homme barbu et chevelu, éteignit dans un mouvement d’exaspération la télévision. Il claqua la télécommande sur la table basse.
Tira une dernière fois, longuement, sur ce qui était manifestement de la marijuana et écrasa le mégot dans un cendrier. On entendit quelques jurons.
“Qu’est-ce qu’il y a encore Jésus ?” Soupira une voix dont on ne savait d’où elle venait.
“Tu as vu la cérémonie des jeux ? Rien ne change. C’est ça que les gens veulent. Des jeux et du pain, voire idéalement du vin. On est à Paris quand même” ironisa t il pour lui même.
La banane se mit à parler. Parce que Dieu est partout : “tu n’as pas trouvé ça puissant symboliquement le monsieur tout nu et tout bleu ?”
“Mais papa, c’est pas possible ! Tu ne peux donc jamais rien prendre au sérieux ?”
“Tu sais très bien le problème. Ils croient que tout va aller mieux parce qu’ils se réunissent autour d’une distraction qui en plus inculque l’idée que seul le meilleur a vraiment de la valeur”. “Évidemment que c’est bien le sport, les spectacles, se retrouver mais là ils se font aliéner en applaudissant l’énergie colossale dépensée à ne rien changer au monde”.
“Je t’aime tellement mon chéri. Mais heureusement que tu n’es plus en bas. Tu sais ce qu’ils diraient de toi ?” Interrogea Dieu qui avait choisi d’être un coussin moelleux.
“Que je suis un réac’ !”
“Exactement… Enfin, si quelqu’un t’ecoutait bien sûr. Tu sais c’est plus compliqué aujourd’hui avec les réseaux tout ça tout ça. Chacun a la vérité. Et puis, ils préfèrent les jeux parce que c’est beaucoup plus simple d’espérer que les choses s’arrangent sans faire de réels efforts. Certains humains ont bien compris, ils en profitent à leur avantage”.
Jésus se leva et fit face au coussin : “je veux y retourner. Je dois essayer.”
“Oh non, tu ne vas pas recommencer avec ça. La dernière fois, tu es revenu totalement désespéré. Depuis tu fumes et ça fait des trous sur la moquette”.
“Mais enfin, les guerres s’étendent, la surveillance se généralise, les armes sont atomiques. Tu vas laisser faire. Sans même essayer de les aider ?”
“Il faut que chaque homme soit touché dans sa chair pour que son cœur se réveille. C’est comme ça. Ça va venir. Il faut avoir la Foi”.
Jésus pensa que son père devenait vieux, sourd. Il se croyait invincible, parce qu’il pouvait s’incarner dans des pommes ou des clés à molettes. Alors que Jésus voyait la folie des hommes devenir de plus en plus destructrice.
C’est alors qu’un bruit sourd se fit entendre à l’extérieur. Jésus fut le premier à sortir.
Sa mère, Gaya, vit l’une de ses immenses branches, du sequoia géant du haut de la plage qu’elle était, entre autre, se briser. Elle reteint son râle.
Puis elle finit par reprendre son souffle et sourire à Jésus. Dieu qui était alors le ciel tout entier venait, par sa colère, de faire monter la température de quelques degrés. Il dit à Jésus : “ok. Vas-y”.
Jésus était ému. Ça lui donnait envie de fumer. “Merci Papa. Peut être tu pourrais me faire apparaître comme l’un de ces grands sportifs. Le champion de 100m. C’est ça que les gens regardent. Je ferais une coalition avec les autres sportifs. On fondra nos médailles d’or pour offrir à manger aux plus pauvres. J’expliquerai que ce sont eux les plus méritants et ceux qui peuvent nous aider trouver ton amour en leur offrant ce que nous avons. Je ferai le buzz sur Tik tok. Apparemment c’est ça qui marche”.
“Mon chéri. Tu sais que tu vas souffrir. Je ne pourrai l’empêcher. Les hommes doivent apprendre par eux-mêmes”.
Il ajouta aussi ceci : “Tu ne te souviendras pas toi même d’où tu viens. Mais tu finiras par entendre ma voix. Essaie de bien te souvenir de cela. Quand tu entendras ma voix, suis-la. Je te guiderais d’ici”.
Jésus avait une dernière demande. Il rougissait un peu, se tordit les mains et se lança : “Tu peux envoyer Marie aussi ? J’aurai besoin de quelqu’un pour retrouver ta présence ?” Prétexta t il.
“Je connais mon travail mon chéri”.
Et il ajouta “prends soin de toi mon chéri”.
Jésus regarda alors son père et par ses yeux dit “promets moi toi aussi de me faire confiance”.
Jésus alla ensuite embrasser sa mère. Il posa ses mains ouvertes sur le tronc du sequoia souffrant. Une larme glissa, s’écrasa sur la terre battue…
Jésus s’agenouilla et dessina de la pointe de son doigt un coeur autour de l’impact humide.
Il se releva, parti vers l’horizon. Et sa silhouette disparu.
Antoine VERNIER, sociologue, vit à Angers dans une cabane sans eau et sans électricité.
En 2022, il court 23 marathons de suite jusqu’à Davos. De ce voyage, il réalise un documentaire « Et si on parlait d’amour !? » et en écrit un livre qui porte le même titre.