Marathon 25/100 : 53 km, D+ beaucoup (Camping cul, Zernez – Sluderno)
Il est 18h30 et me voilà enfin allongé sur un lit. Pour le coup, il est tellement grand que je pourrais dormir dans la largeur.
J’avais prévu de courir 41 km. Juste passer la frontière italienne après un beau et long passage de col.
Mais je n’ai rien trouvé de mieux qu’un hôtel-resort à 190 €. J’ai donc négocié pour 9€ l’accès à leur sublime spa où j’ai pu faire une sieste de luxe et je suis reparti.
Pour 12 km de plus.
Une charmante italienne m’ayant recommandé un hôtel qui se trouvait de toute façon sur mon chemin, plus ou moins, demain.
J’aurais pu dormir sur le sol de l’église, dans la bibliothèque d’un camping ou dépenser ces 190 €. Mais je crois que ce qui me fait vraiment du bien, c’est de me sentir accueillit. Qu’une rencontre se fasse.
Et c’est ce qui s’est passé.
La dame qui tient l’hôtel travaille avec son frère et son jeune fils de 18 ans.
On parle longuement du projet. Ils rient beaucoup, sont impressionnés. Alors elle divise son prix habituel en 2. “Pour soutenir le projet” dit elle en me souriant.
Le fils me recommande un plat de pâtes typique que son oncle prend soin de me préparer. Je les vois me regarder et se réjouir de faire un peu plus encore aujourd’hui, leur part pour le monde.
C’était quand même long mais sans doute une nouvelle fois parfait !
Demain, je n’aurais que 25 km et je me reposerais plus là bas, j’espère.
Mais c’est hier que la soirée était pour moi la plus spectaculaire.
Finalement, à 17h, le patron du camping, que j’appelle Merlin, m’apprend que toutes les cabanes sont réservées. Mais Merlin me dit : “je vais t’aider” et il part dans le fond de sa grotte- réception trouver je ne sais quel sortilège.
Il gribouille une sorte de plan et me lance “Va là bas, tu sonnes et il y aura ce qu’il faut pour toi”.
J’enroule donc mes vestes autour de ma taille pas complétement enchanté de faire 2 km de plus pour une destination qui ne me paraît pas certaine.
En marchant, je double un couple de français voyageant en moto. On bavarde un peu. La jeune femme a des yeux de diamants. Elle dit cette phrase qui m’éclaire sur l’indifférence que je ressens parfois : “en fait, votre projet est tellement énorme que l’on a dû mal à le réaliser“.
Je vois à ce moment là et pour la première fois en Suisse une plaque d’immatriculation avec les lettres ES. Les initiales de mes enfants. Cette voiture va dans la direction de mon potentiel abri.
J’en conclus qu’il doit y avoir une raison pour laquelle je devais aller là-bas.
Je sonne… Personne ne répond. Alors je m’autorise à ouvrir la porte…
Un hall dessert en bas une salle à manger avec un baby foot et en haut des dortoirs vides et des douches. Et là, sur une étagère, tout seul, un livre. En Français.
Le livre s’appelle “la croisade des enfants“. A B Winter en est l’auteur. Je sais à l’instant où je l’ai vu que tout a été fait pour me conduire à ce livre.
J’ai lu 66 pages de ce livre.
Un enfant de 12 ans, au 13e siècle, se fait appeler le prophète. Il parvient à réunir 7000 autres enfants, pour partir à Jérusalem armé de l’authenticité et de leur joie. Malheureusement, ils périssent en traversant la mer.
Mais on les retrouve aujourd’hui à travers des adultes capables de retirer leurs masques sociaux pour faire advenir un monde meilleur au travers un gigantesque et complexe réseau.
J’ai harcelé la sonnette sans parvenir à voir le propriétaire. J’ai donc au matin simplement laissé 20 €. Bien moins que ce que m’aurait coûté le camping. Mais surtout j’ai reçu le message.
Il y est question des croisades qui ont semées la terreur et le sang et ont été envoyées par l’église et les Rois pour prendre Jérusalem aux musulmans.
L’auteur en utilisant la simplicité qu’on peut trouver chez les enfants nous aide à voir comme les solutions des adultes qu’on fait passer pour nécessaire sont immondes. Qu’elles sont truffés de mensonges à cause des masques portés pour ne pas prendre le risque d’être honnis du groupe.
C’est comme si on venait de me dire : “oui tu n’as pas d’armée et pas d’armes. Ils te diront naïf, seront indifférents, moqueurs mais un jour ils trembleront lorsque tu ne douteras plus de la vérité et vous serez alors des milliers”.
J’ai enregistré. J’essaie à présent dans mes rencontres de parler de ce projet avec cette confiance. Pas comme un rêve, une tentative parmi d’autres mais comme ce qu’il est, le sommet de l’acte d’amour dont je suis capable, l’exigence de vérité, des actes qui découlent du verbe.
Merci aux amis Suisses pour leur accueil. Spéciale dédicace aux randonneurs Suisses. Voir photo. L’un d’eux a dit “l’amour, ce n’est pas une voie pour arrêter les guerres, c’est la seule“.
Trop content de découvrir l’Italie et bien sûr de manger des pâtes.
Bon c’est pas tout ça, je vais aller remercier mes hôtes et me reposer. Demain, je cours.
Tout le meilleur pour vous tous.
Antoine VERNIER, sociologue, vit à Angers dans une cabane sans eau et sans électricité.
En 2022, il court 23 marathons de suite jusqu’à Davos. De ce voyage, il réalise un documentaire « Et si on parlait d’amour !? » et en écrit un livre qui porte le même titre.