Marathon 49/100 : 43 km, (Belgrade – Udovice).
Comment reprendre le fil de ce récit.
Voici 10 marathons que je fais avec mes enfants à travers la Serbie. La température est caniculaire depuis presque leur arrivée.
Hier ils ont voulu, pour le dernier, avoir eux aussi leur part dans cette aventure. On a terminé les 19 derniers kilomètres jusqu’à Belgrade tous les 3.
Karine a dit “tu es sûr que ça n’est pas trop?” Je crois qu’elle était heureuse d’assister à ce moment. De participer à son existence. Le prix fût il de porter les 3 sacs.
A notre rendez-vous de 8h50, les voilà qui descendent du bus avec leur casquette et leur bidon d’eau. Aucun touriste ici, aucun étranger d’ailleurs. Juste quelques habitants vacants à leurs occupations et qui cherchent l’ombre ou les cafés climatisés.
On ne passe pas inaperçu. Dans ces petits villages, personne ne court. Pour quoi faire ?
Mais la curiosité est là sans que personne n’ose nous interroger. J’ai le sentiment que leur prévention des conflits consiste à ne pas se mêler des affaires des autres.
Simon a fait presque 60 km en tout avec moi. Éléa 40.
Ils aiment essayer d’établir un contact avec ces autres. Faire les courses, payer au bar ou jouer au basket avec d’autres enfants. ils disent “la journée est incroyable quand on a couru”.
Et puis ce matin, ils ont voulu se lever à 5h30. Un avion va les ramener à leur vie quotidienne. A des vacances “normales”.
En partant, les yeux embués, je crois que c’est la première fois que j’étais profondément en colère contre ce qui m’a placé dans cette situation. Elle et notre amour, l’amour lui-même, les Dieux, le destin… Une partie de moi-même que je ne contrôle pas me diraient sûrement impitoyablement ces personnes. Ahah !
Alors j’ai traversé la banlieue suffocante de Belgrade sans trop réfléchir. Les ordures le long des voies étroites, les pots d’échappement bruyants et les visages fermés comme parfait décor de mes injures aux Dieux ou plus exactement à chaque être humain qui ne me semble rien retenir de l’histoire.
Oui, il n’y a pas que le monde qui est injuste. Il y a moi aussi. Vous étiez mon bouc émissaire ce matin…
Pour ne plus penser aux douleurs du corps ou bien alimenter celles de la tête jusqu’à ce qu’elles s’en aillent, j’ai écouté Magda Hollander-Lafon.
Cette rescapée d’Auschwitz qui dit “personne ne savait vraiment”. “Ils mentaient et nous avions besoin de les croire. Sans quoi, jamais cela n’aurait été possible”. “Mais ce qui m’a fait mal, c’est le comportement de nos voisins”.
Ça n’arriverait pas de nos jours… Non !!!
Hier soir j’achetais une brosse à dents pliable. On bavarde. En 10 jours , je suis presque revenu à mon rôle habituel de père. Le pouvoir de ces grands sages que sont mes enfants. Alors je me surprends à leur parler de “moi et eux” à la rentrée. Je m’étais conditionné à ne pas penser à cette échéance pour être parfaitement prêt, parfaitement impliqué pour ce projet.
J’entends soudain cette phrase qui sort d’Éléa comme une légère supplication qui se veut sans reproche : “tu peux arrêter de dire, “si je reviens””.
Sa phrase, elle m’oblige à être clair sur ma pensée. Nous allons vers notre destruction collective.
Le mensonge est omniprésent, visible dans notre monde moderne. Nous nous y soumettons.
Alors, la question est : “Est-ce vraiment notre seule manière d’apprendre à respecter la vie ?”
A ceux qui disent, il faut se battre pour ne pas devenir Russes, comme on ne voulait pas devenir allemand. Je demande est-ce vraiment une bonne raison de se battre ? Je pose simplement cette question parce qu’il me semble que nous nous sommes déjà bien américanisés culturellement et économiquement sans que cela semble trop nous émouvoir.
C’est tout à fait autre chose que se battre pour défendre la vie d’autres personnes.
Dans ce dernier cas, si la réponse est binaire entre “ne rien faire” et “tuer” et donc insatisfaisante, je cite cette phrase d’Einstein : “un problème sans solution est un problème mal posé”.
A ceux qui croient que nous devons nous battre pour notre mode de vie, l’indépendance énergétique, je leur dis que je vis depuis 5 ans sans réseau d’électricité et dans la joie. Qu’un monde sans pétrole, ni argent, c’est 99% de l’histoire de l’humanité.
A ceux qui disent que l’on ne peut rien faire, que c’est trop complexe, mondial, je dis : moi je fais ça.
Et je sais que ce n’est pas rien.
A ceux qui disent que c’est impossible d’arrêter cette guerre entre ces peuples qui veulent la même chose, je demande qui a cru possible que je fasse 49 marathons de suite, plus de 2000 km en traversant les montagnes, les pays, la chaleur.
Je n’affirme qu’une chose, c’est que vous êtes tous aussi exceptionnels que moi.
Mais l’énergie infinie, elle viendra de notre conscience d’être un.
Bref, pour revenir au concret, à la fin de toutes ces réflexions, j’étais en Paix. Parce que j’ai pris conscience que je réussis déjà. Que ça a du sens.
Ne serais-ce qu’une chose très simple mais qui probablement résonne encore au fin fond de la galaxie…
Jamais je n’avais autant pris conscience de l’amour qui me lie à mes enfants.
Un grand merci à Karine d’avoir accepté de traverser cette expérience.
Merci à vous et à tous les témoignages que j’ai vu me montrant combien vous êtes exceptionnels.
Antoine VERNIER, sociologue, vit à Angers dans une cabane sans eau et sans électricité.
En 2022, il court 23 marathons de suite jusqu’à Davos. De ce voyage, il réalise un documentaire « Et si on parlait d’amour !? » et en écrit un livre qui porte le même titre.