Marathon 24/100 : 34 km, 1000 D+ (Davos – camping Cul, Zernez)
Ce matin en me levant, j’étais concentré sur rester dans l’instant présent. Ignorer l’éventuel sentiment de solitude sur la route, les difficultés possibles, la probabilité de dormir à la belle étoile en short par 10 degrés à 1500 m d’altitude.
Joël, à 5h45, est déjà en train de démonter son abri. Il le fait lentement…
Moi je suis prêt à partir. Je sais que quand il va lever la tête, ce sera la dernière fois avant longtemps que je le verrais.
Je n’ai pas le temps de réfléchir à un bon mot, de rassembler ce qui a compté dans ces 3 semaines de quotidien extraordinaire, il me regarde.
C’est le problème de ces instants où trop de choses se bousculent en nous.
Alors instinctivement, on se serre fort. Peut-être plus moi, pour tenter vainement qu’il ne voit mon âme, pour puiser une dernière fois du courage dans ses espoirs à lui aussi, dans sa force.
Et je pars.
Une longue route sinueuse, ensommeillée, qui serpente entre les forêts de sapins, les cascades, les précipices et me guide jusqu’aux sommets enneigés à près de 2400 m.
J’ai conservé 2 vestes dans lesquelles j’ai ma brosse à dent, mon passeport, une lampe, des pansements et la crème à bronzer.
Est-ce ce léger surpoids, la pente, ces changements à intégrer, l’usure, j’ai dû mal à m’y mettre. Je parviens tout de même au col à une respectable vitesse de 6km/h.
La route se met alors à descendre et mon moral, telle une fusée, remonte.
On est dans le parc national Suisse. Il y aurait de quoi passer une vie entière à prendre des photos.
Je me hâte de parcourir les derniers kilomètres espérant trouver du wifi au camping et faire un live clin d’œil à Joël et aux amis angevins qui se sont réunis aujourd’hui chez eux/nous pour être un peu plus encore avec le projet.
Dans ma tête, pour m’ôter l’inquiétude de tester la résistance au froid de la nuit de mon corps, je me disais que je serais prêt à prendre un hôtel à 130 € si cela me simplifiait la vie.
Mon raisonnement est simple. Mon job est d’atteindre Jérusalem. Pour rappeler ce que chacun au fond sait, l’Amour, peut seul vaincre durablement les guerres.
J’ai l’impression que ce n’est pas si banal par les temps qui courent…
J’ai lu dans la presse que le passage de la flamme olympique avait coûté au contribuable, via le département, 460 000 €. Bien que je crois que tout événement populaire est une belle promesse, je me suis dit que si jamais c’était l’argent qui m’empêchait d’aller au bout de ma tentative, il pourrait bien se trouver des contribuables pour vouloir jouer 1000 € sur “essayer d’arrêter la guerre avec le pouvoir de l’amour” et rendre d’ailleurs le projet plus visible, plus populaire.
Et finalement, en arrivant au camping, je tombe sur la dame qui nettoie les douches. Elle dit “installez vous ! Il y a une cuisine, du wifi et ils louent des cabanes pas très cher”.
Je pourrais aussi revenir sur notre dernière soirée avec Joël.
Je lui avais dit, j’aimerais bien interviewer un Suisse un peu longuement. Il parlerait français pour que ce soit plus simple pour moi.
Joël insiste pour m’inviter au restaurant. Il a à cœur de faire le maximum pour me permettre d’aller le plus loin possible dans cette aventure. C’est la graine précieuse qu’il sème en moi.
Alors on déambule dans Davos. On passe devant le World Économic Forum (WEF). Joël immortalise la présence de mon t shirt dans ce lieu d’influence mondiale et soudain je me retourne. “Bonjour”.
C’est Lars. Il est suisse et il parle français parce qu’il a travaillé longtemps à Lausanne. Il est à Davos depuis 1 an et demi. Il a un job d’ingénieur en physique dans un centre de recherche qui travaille sur la neige et l’eau en montagne. Pour lui, la politique ne peut plus grand chose. “Ils ont trop d’autres sujets aujourd’hui. Le dérèglement climatique n’était même plus à l’ordre du jour du dernier WEF”.
Par contre, il croit à la bonne soirée à laquelle il propose de nous associer avec 2 de ses amis et collègues.
Il y a Pierre qui est doctorant en service civique et Fergus.
Fergus a une histoire incroyable. Il parle 5 langues. Sa mère est norvégienne et son père irlandais. Ils se sont rencontrés en doctorat aux Etats Unis. Mais ils se séparent et sa maman part vivre avec le jeune Fergus chez sa sœur et son mari en Norvège. Pour elle, les États Unis sont dangereux pour les enfants. Chez elle, ils peuvent aller seul dans un parc et toute la communauté a un œil sur eux.
Il est donc élevé par 2 femmes et un oncle qui est comme son père. On sent, peut-être par cet entourage polyglotte et féminin, l’ouverture du coeur.
Joël leur parle d’études japonaises qui montrent que la pensée peut influencer la structure d’un flocon de neige mais sans complètement convaincre nos jeunes scientifiques… Pour l’instant.
Bon c’est pas tout cela, finalement le plan cabane tombe à l’eau…
Allez, à demain en Italie. Si tout va bien !
PS : Merci aux angevins qui se sont réunis autour du projet. Waouh !
PPS : Merci à vous tous pour votre soutien.
PPPS : Joël est arrivé à walenstadt sans encombres. Si j’ai bien compris, il va prendre le temps, échanger sur l’amour avec ceux qu’il va rencontrer et laisser le vent lui souffler le bon chemin. Comme d’habitude !
Antoine VERNIER, sociologue, vit à Angers dans une cabane sans eau et sans électricité.
En 2022, il court 23 marathons de suite jusqu’à Davos. De ce voyage, il réalise un documentaire « Et si on parlait d’amour !? » et en écrit un livre qui porte le même titre.