Marathon 76/100 : 35 km, (Selimyie – Inegol)
L’amant : oh ma chérie, pourquoi toutes ces histoires. Bien sûr que je vais quitter ma femme. Tu sais bien que c’est toi que j’aime mon canard enchanté.
L’amante : je ne supporte plus cette situation. Ça fait 3 ans maintenant…
L’amant : oh excuse moi une seconde.
(Un peu plus bas)
Oui ma chérie…
Je ne peux pas trop te parler là,… Réunion tout ça tout ça.
Mais oui je t’aime.
Oui je passe chez le traiteur. A tout à l’heure…
…je t’aime oui.
Ma nuit a ressemblé aussi à une pièce de théâtre. Les habitants de Selimyie ont trouvé le truc pour que le vivre ensemble fonctionne : Ils vivent ensemble !
Le café au-dessus duquel j’étais, ferme à 1h. Ils s’interdisent l’alcool mais c’est ainsi, on rit beaucoup plus, juste avant de se quitter et quand on est fatigués.
À 2h, Batman (en réalité c’était un chat mais dans la pénombre, on a une seconde de doute) croit pouvoir profiter de mon sommeil pour venir emprunter définitivement mon quignon de pain.
A 3h un concert d’aboiements de chiens. Plutôt en fa dièse et plutôt sans fin.
Effet positif, j’ai apprécié de n’être pas dehors avec eux.
Et à 5h, chant de l’imam pour que chacun puisse apprécier la parole réconfortante et grésillante de Dieu.
A 6h, je dessine un cœur sur la table et j’écris “ensemble pour la paix” avant d’affronter la route.
J’ai été Infiniment touché de leur accueil. Je me suis dit, juste parce que j’ai vu des soldats israéliens en apprentissage l’année dernière, je me retrouve aujourd’hui dans cette aventure. Que va-t-il éclore de voir la beauté de tous ces visages, d’être marqué par eux ?
C’était un moment important parce que j’ai vu cette communauté qui considère les palestiniens comme leurs frères, qui souffrent de lire le journal. 250 enfants et femmes, majoritairement, ont reçus une bombe israélienne à Gaza ville avant hier.
J’ai vu l’image qu’ils avaient. Ce blanc de France qui descendait péniblement les escaliers et disait qu’il allait aller là-bas, protéger nos frères.
Au milieu d’eux, en relisant un peu les récits des 4 premiers marathons, j’ai aussi comme pris conscience pour la première fois que la motivation de ce gars, moi, est très difficile à cerner.
Est-il sponsorisé par coca cola ? De mèche avec Israël pour nous endormir ? Veut-il être célèbre ? Est-il suicidaire ou simplement fou ? A-t-il été escroqué par une agence de voyage pour le moins originale ?
Quel est donc son intérêt pour mettre une telle énergie pour des personnes qui ne sont ni de son pays, ni de sa religion ?
Quand je vois la situation depuis leurs yeux, je suis touché en plein cœur. Parce que moi aussi ça me surprend. Parce que je sais que je n’ai pas choisi de me retrouver à faire cela.
Moi j’ai rencontré une femme et elle m’a révélé mon âme. Qui je suis, dans mon essence. Elle m’a dit comme si elle parlait de Dieu, alors que j’avais perdu mon travail à cause de cet éveil : “Je sais que tu peux tout faire”.
J’essaie d’expliquer encore ce qui m’échappe à moi aussi.
On dit “Dieu est Amour”. En mathématiques, ça donnerait l’équation Dieu = Amour.
L’Amour, c’est suivre l’élan de son âme, c’est suivre le chemin, l’appel de l’amour. Et c’est donc suivre la voix de Dieu.
Moi qui vient d’une famille anticléricale, c’est quelque chose qu’il m’est difficile de révéler, de pleinement assumer parce que bien des malentendus se créent lorsqu’en dévoilant ses croyances on touche, qu’on le veuille ou non, à celles de l’autre. Parce qu’on confond Dieu aussi avec les dogmes, les institutions, les interprétations péremptoires.
Mais il faut bien donner un nom pour parler de l’indefinissable.
J’ai parlé, même pour être plus à l’aise moi-même, d’Amour. C’est ainsi que je me le formulais. Ce mystère que nous recherchions tous, croyants d’une religion ou d’une autre ou d’aucune.
Aujourd’hui, pour moi-même, j’aime l’appeler Dieu. Je crois parce que cela me permet de bien me connecter à ce pouvoir, à son pouvoir agissant.
Ainsi, ce matin, le corps douloureux et fatigué, je lui demande son aide : “si c’est ta volonté que je continue, je vais avoir besoin d’aide”. J’ajoute “si tu me le demandes, je ferais le maximum, mais là franchement, excuse-moi de douter”.
Je me reconnais pleinement dans la phrase titre du livre de Maurice Zundel : “Je ne crois pas en Dieu, je le vis“.
C’est une démarche pour moi purement rationnelle. J’ai vu cette puissance agissante tant de fois. Et j’ai vu qu’elle nous offre les plus grands joyaux si on se met à son service.
C’est un détail mais c’est aussi pourquoi je ne suis pas très sensible à ce que l’on dise c’est bien ou c’est pas bien de faire ce que je fais.
Par contre, ce qui me touche, c’est lorsque l’on reconnaît le seul mérite que j’ai, celui d’obéir à cette voix.
Et surtout, ça me rend heureux que l’on me félicite parce que c’est la preuve que vous choisissiez vous-même cette voix. Que vous en avez le désir en tous cas.
Mais je reste extrêmement pratique. Pour moi, Dieu ne peut rien tant que les hommes sont sourds. Et puis le bien et le mal ont des interactions complexes.
Par exemple, depuis toujours nous tuons pour manger. Si on trouve de l’entraide dans la nature, on trouve aussi de la cruauté de notre point de vue humain. Des souffrances a priori sans causes. Qui nous échappent en tous cas.
C’est pourquoi je me sais porter quelque chose qui est peut-être utopique en effet. Qui n’est peut être pas réaliste. Mais j’ai tendance à penser que c’est peut être-simplement pour retrouver davantage d’équilibre, tant la cruauté semble désormais admise de manière systémique.
Pour en revenir à ce matin, ces improvisations pour dormir, elles font sûrement partie du plan mais elles sont beaucoup plus éprouvantes en terme d’énergie.
J’ai couru finalement les 35 km à la même vitesse que d’habitude. Mais dans ma tête, chaque kilomètre a été un combat.
Autant dire que je savoure l’hôtel de ce soir dans l’immense et pratique ville d’Inegol.
Demain il y a 48 km et une improvisation… L’hôtel le plus proche est à 61 km de l’étape de demain…
Autant dire que rien n’est fait pour faire les 100 marathons. Par contre, on a calculé hier avec ma sœur. Je suis à 42,49 km de moyenne journalière. J’ai donc un peu de marge.
Mais pourquoi cette petite pièce de théâtre en début de récit…
D’abord Itamar Greenberg a refusé de rejoindre l’armée israélienne qu’il qualifie de criminelle. Il est actuellement en prison militaire. S’il y a une personne qui le fait, tous peuvent le faire.
Deuxièmement, Emmanuel Macron nous raconte son récent coup de fil avec Benjamin (7 août). Il aurait, nous dit on, demandé un cessez-le-feu immédiat sur Gaza et l’accès à l’aide humanitaire.
On ne sait pas si Benjamin a répondu, “t’inquiètes mon canard, j’arrête maintenant. J’étais juste énervé. Je suis tellement navré de ne pas contrôler mes émotions”.
Toujours est-il que le 10 août, le même Benjamin demandait à faire exploser une école. Sûrement une technique bien connue pour sauver des otages.
Pour une fois, je vais quand même éviter l’humour qui aide pourtant à prendre de la distance. Le lien avec ma petite scénette imaginaire, c’est le mensonge.
Et j’ajoute qu’Emmanuel Macron, que je crois plutôt être lui aussi victime d’un système, est un fin connaisseur de ce type de mensonge.
En février 2020 par exemple, il fait un magnifique discours sur la biodiversité, la menace pour l’humanité, la nécessaire décroissance volontaire et deux semaines avant ouvre le sommet Choose France pour soutenir les investissements en France (plusieurs milliards) des multinationales les plus impactantes pour la planète.
Mais comme j’ai cette maladie de constamment espérer, faites-lui savoir que le 4 septembre prochain, j’aimerais qu’on prenne vraiment une décision. Une décision qui pourrait éviter de déchiqueter de nouveaux gosses, d’en traumatiser les acteurs et les proches et d’énerver encore ceux qui détiennent les otages.
Nous pouvons imposer le cessez-le-feu immédiat. C’est comme pour quitter une femme, c’est très pratique. Il faut y aller et le faire.
Pour obtenir le cessez-le-feu immédiat, il faut y aller en très grand nombre et avec notre diversité.
Je sais les Israéliens et Palestiniens nombreux à le souhaiter.
Et vous ? Comment croyez-vous que nous pouvons aider un homme à choisir celle qu’il aime ?
Antoine VERNIER, sociologue, vit à Angers dans une cabane sans eau et sans électricité.
En 2022, il court 23 marathons de suite jusqu’à Davos. De ce voyage, il réalise un documentaire « Et si on parlait d’amour !? » et en écrit un livre qui porte le même titre.