Marathon 81/100 : 58 km, (Altintas – Afyonkarahisar)
Je ne dirais pas que je suis “porté”. Sans quoi je ne comprendrais pas ni les douleurs, ni la fatigue.
Je dirais plutôt que l’on me guide, que l’on m’aide à emprunter le chemin et qu’on m’en récompense.
Je partais pour 44 km aujourd’hui. Pas du tout envie de faire plus. Du coup j’étais prêt à aller négocier ma place un samedi soir dans les hôtels thermales de luxe 14km avant la grande ville située, elle, à 58 km.
J’achète un peu de pain en partant à 6h et me voilà grimpant sur la carrière de marbre qui a coûté la vie à la moitié de la colline. Mais permet sûrement à beaucoup d’hommes d’acheter leur pain.
Les 14 premiers kilomètres se passent plutôt bien, ce qui me surprend toujours et je rejoins alors une 2 fois 2 voies.
Pas trop de voitures, l’avantage de n’avoir aucune question à me poser sur le parcours. Alors je me dis que ce ne sera pas une étape très intéressante mais relativement simple.
Du reste je vois tout de même un très gros avantage à un parcours sur une quasi autoroute.
Une route, pour moi, c’est pratique, mais c’est aussi comme un coup de cutter sur la terre. Le bruit, les odeurs, la vitesse, les restes d’animaux dans les fossés et tout un tas de déchets comme vestiges et témoins de ce problème de vitesse qui nous empêche de voir et de respecter.
Et bien l’avantage, c’est que pour trouver l’énergie, au milieu de tout cela il faut chercher la beauté. Et je crois qu’à force de chercher, je la trouve et je développe ainsi une capacité à la voir là où c’est le moins évident.
Voyez ce pneu abandonné que j’ai pris en photo. J’ai pensé qu’il a un jour été neuf. Que son propriétaire l’a aimé. Au moins pour les services qu’il allait lui rendre. Le pneu a fait du mieux possible, l’hiver, sur les longues routes, celles cabossées. Et puis un jour, il n’en pouvait plus le pneu et il y avait cette pierre. Il a cédé de toute sa carcasse dans un bruit d’air cassé.
Son propriétaire a râlé. Il l’a jeté là.
La terre, les pins, les herbes sauvages et les petits escargots ont accueillis sans se plaindre ce nouvel arrivant qui modifiait bien des équilibres.
Et puis ces herbes, les serpents, même les fleurs sont venues peu à peu l’envelopper. Retrouver, avec lui, ensemble, une harmonie. Du mieux qu’ils pouvaient.
Sans que quinconce pense un instant à faire un reproche à ces voitures pourtant toujours plus nombreuses.
Km20, j’arrive enfin à la première station essence. Elle est déserte. Il y a juste Emin. Ce beau jeune homme qui attend sur un canapé, devant les pompes, les clients.
On est content de se rencontrer au milieu de ce tumulte. Il s’excuse, mais il n’a ni café, ni rien à manger ici. Par contre, il me dit, dans 5km, tu as un restaurant génial avec le café compris.
Ça me motive trop. Voilà, Emin il n’est pas seulement beau, c’est le meilleur coach du jour.
Je mange donc à ce restaurant du km27 que j’atteins, l’appétit bien ouvert. Je m’arrête ensuite à toutes les stations pour arriver enfin à l’arrivée, km44.
Mais immédiatement, je sais que je ne dois même pas essayer d’aller à l’hôtel. Peut-être parce que c’est trop près de la grande route, peut-être la grande ville m’attire aussi. Peut être parce qu’avoir moins de km pour l’étape beaucoup plus montagneuse de demain, c’est mieux.
Et j’ai l’impression de pouvoir le faire, même si je devrais être vigilant à récupérer davantage en moins de temps.
14 km que je découpe en fractions d’abord de 4…
Et voilà la ville qui se dessine.
Une joie que je n’avais jamais ressentie encore vient me surprendre en montant du fond de mon ventre.
Ce n’est pas seulement d’avoir réussi un défi. Pas seulement des hormones sécrétées par l’activité physique. Pas seulement de relâcher l’effort. De l’étonnement que mon corps ait réussi cela. De la liberté que procure de se découvrir capable de bien plus que l’on croyait.
Non, ça vient plus de la joie de la voix elle-même. Je la sens heureuse que je lui ai fait confiance.
Cette joie s’infiltre alors dans tous mes sens qui se sont ouverts tout au long de la journée à chercher la beauté partout. Mes yeux ne suffisent alors plus à capter toute la beauté que la vie nous offre à tout instant.
L’envie me prend de profiter de ce moment en m’offrant un verre.
Les 4 employés de la station que j’ai élue se mettent à me parler, à me questionner sur le projet, à s’en ébahir, à fêter avec moi cette arrivée sans que je n’ai fait quoi que ce soit de différent de d’habitude.
Merci à Huseyin, Bedirhan, Ihsan, Mustafa Ismaël et Cemil (qui nous a rejoint juste après la photo) pour leurs sourires. Je ne pouvais pas rêver mieux.
Envie d’aller me reposer maintenant. Je les quitte en savourant la joie que j’ai senti en eux. J’atteins l’hôtel 2 km plus loin en marchant.
Et là, pareil. J’ignore pourquoi, on se met de nouveau à parler tous ensemble. Comme si ma joie intérieure (je n’étais pas du tout plus expressif que d’habitude) devait trouver ces visages pour se refléter à l’extérieur.
Merci Salih, Güler et Ayşegül de l’hôtel Ari. Vous êtes beaux !
C’est pourquoi j’ai l’impression que lorsque c’est l’air lui-même qui est heureux, alors les épidémies ne sont pas loin.
Ça me semble ainsi la journée idéal pour vous partager le témoignage d’Aubin. Car je crois qu’il cherche cela lui aussi.
Par rapport à ce pourquoi je l’ai sollicité, on peut dire que là non plus les choses ne se sont pas du tout passée comme prévue. J’imaginais qu’il fallait une voix comme la sienne pour qu’on entende parler d’amour.
Que c’était peut-être ça qui manquait pour ce projet.
Mais je crois maintenant que l’amour saura se faire entendre de lui-même. Nous, on a d’abord eu la bonne idée de passer du temps ensemble.
Merci Aubin, d’avoir toujours répondu présent à chacun de mes élans. Mieux que ça, qu’ils aient eu une résonance avec tes propres rêves. Et qu’ainsi j’ai pu m’engager à essayer de vivre les miens.
PS : belle soirée à tous. Merci infiniment de votre présence et de tout ce que vous faites
Antoine VERNIER, sociologue, vit à Angers dans une cabane sans eau et sans électricité.
En 2022, il court 23 marathons de suite jusqu’à Davos. De ce voyage, il réalise un documentaire « Et si on parlait d’amour !? » et en écrit un livre qui porte le même titre.