Marathon 96/100 : 37 km, (Aydincik – Yesilovacik)
Parfois je ne suis pas mon intuition et les choses se passent mal. Et parfois je les suis et ça ne se passe pas forcément bien non plus.
Bienvenue dans la science jamais totalement prévisible qu’est la vie.
Mais là, rassurez-vous, c’était un bon jour je crois.
De l’extérieur, on se dit sûrement, bah il en reste 5, c’est rien du tout. Oui sauf que je suis rincé, je me traîne des courbatures, pas mal d’autres petits problèmes et le programme que je me suis fixé, en intégrant le bateau pour Chypre, l’avion pour Tel Aviv et l’organisation là-bas, c’est franchement trop.
Je n’ai pas la confirmation du bateau et ça prend beaucoup de temps dans la journée. L’avion ça coupe aussi énormément la journée et surtout j’ai vraiment envie d’arriver dans de pas trop mauvaises conditions pour le dernier marathon direction Gaza.
Alors j’étais dans l’idée d’enlever, éventuellement, les 31 km de demain matin dès aujourd’hui pour atteindre le port du bateau et avoir du temps pour vérifier sur place qu’il serait bien là. Histoire de ne pas louper non plus l’avion.
J’ai passé les 4000 km avant hier, 4077 aujourd’hui. J’ai 27 km d’avance. Ça se défendait de faire sauter ces kms, grâce à un moteur à explosion hyper polluant pour mieux gérer la suite.
Et puis je me suis concerté. Pour moi, c’étaient des peurs qui m’auraient conduit à cette décision. Peur, cela dit légitime je crois, qu’il y ait un couac avec le bateau, avec mes capacités physiques. D’autres pourraient appeler ça être raisonnable, prudent bien-sûr. Moi j’ai vu ça, comme : “vas-tu faire confiance en l’univers ou non ?” Si les Dieux ne peuvent pas affréter un Ferrie et doper ton sang, mais où va t’on !
Km27, je suis assis sur le sol devant une épicerie, dévorant des bananes et des gâteaux. Tous mes habits sont poussiéreux, troués. Chaussettes, short, t-shirt, barbe hirsute. Les jeunes qui passent me regardent un peu peinés. “L’Europe c’est plus ce que c’était” semblent-ils se dire.
Un autre vagabond s’assoit près de moi. Il me propose généreusement un fond de paquet de chips. Que je décline poliment. “Je suis dans ma phase banane” que je lui explique pour éviter de rentrer dans le détail de mon goût du partage de microbes.
Et là, je vois un bus qu’attendaient les jeunes, direction le port de mon éventuel bateau : Tasucu.
Il passe donc devant moi avec ses roues et sa climatisation.
Il est déjà 12h30. Je me relève en m’appuyant sur le mur de l’épicerie et je reprends la route.
C’est là que Christian Bobin vient à ma rescousse.
Cadeau : https://pca.st/episode/1108d015-0948-4378-8028-da7dd2dfa6c8
Km37, j’arrive enfin à l’hôtel. Dans l’équation, il y avait aussi avoir un hôtel moins cher dans la ville du port. Là, c’est une sorte de paradis touristique. Donc bien bien au dessus de mes moyens.
En franchissant la porte chic de la réception je cherche à sentir dans l’air la réponse à cette question :
“Le vagabond va-t-il bénéficier d’un ascenseur social en aluminium et marbre italien ?”
La réponse est oui.
Yaman est étudiant en Ouzbékistan dont il est originaire. Il travaille ici pour l’été. On bavarde et il finit par m’obtenir un prix imbattable. La chambre est tout en haut avec la vue sur la piscine. Ça lui fait plaisir à lui. C’est ça qui me fait plaisir à moi.
Et puis surtout, il me confirme 2 choses. Pour lui, pas de soucis pour le bateau et effectivement, passer en Syrie aurait été une très mauvaise idée.
Yaman réussit même à négocier la transformation de mon petit déjeuner, que je ne pourrais pas prendre, en le festin dîner pour touristes opulents. Jamais rien vu d’aussi incroyable. Il fallait aller à Gaza pour découvrir ça.
Alors, quand je découvre, en plus, qu’ils ont un ponton qui descend à la plage et une admirable série de toboggans, je conclus que c’était écrit. Qu’on est merveilleusement en train de se dire au-revoir avec la Turquie.
Que même si je doute, les 31 km de demain matin pour atteindre le bateau de 14h, ça devrait se faire… Quant aux 27 km en débarquant à 16h30, je ne sais pas…
Ils me permettraient de rejoindre un hôtel et n’avoir plus que 48 km le lendemain pour atteindre l’aéroport.
Je voudrais aussi partager maintenant quelques remerciements qui me viennent.
On ne sait pas demain.
Je me sens dans une immense gratitude d’avoir pu vivre tout cela déjà.
Je pense d’abord à mes parents. Merci d’avoir eu cette bonne idée. A ce moment là !
Merci à ceux qui m’ont élevé. Dont mon beau-papa en particulier.
A la maman de mes enfants. Merci de ta confiance et de ta capacité à gérer.
A mes enfants. Quelle chance de vous avoir. Merci de m’inspirer tant. Merci de votre soutien inconditionnel, de votre patience, de votre force. Je ne sais pas comment vous faites. Je prie pour que vous vous rendiez compte de votre beauté.
Merci à Karine, Joël M, Aubin, Pascale, Julien, Joël G d’avoir cru à ce projet dès le départ, à votre façon et d’y avoir mis ce que vous êtes. Serais-je parti sans vous ?
Merci à ma sœur et à mes frères qui sont des amis à part. J’aime cette incroyable chance que ce soit garantie pour la vie.
Merci à chacun de vous qui lisez ces lignes et en particulier aux commentateurs et supporters de la première à la dernière heure. Je ne peux prendre le risque d’oublier des noms, en tentant de vous citer tous.
Vous êtes incroyables ! Ne laissez personne vous dire le contraire.
Merci aux Maires des différentes communes et en particulier à Jérôme Foyer, Jean Paul pavillon, Danielle Lepage et Lamine Naham. Je vous ai vu y croire avant moi. Merci d’être ainsi construits que vous croyez au meilleur pour la collectivité avant les autres.
Merci aux journalistes qui ont parlé de ce projet et ou s’y sont intéressés. C’est un art, d’ouvrir des fenêtres sur de nouvelles manières de penser.
Je ne peux pas remercier ceux qui ont voulu que ça foire et qui ont même eu l’ardent désir de me le faire savoir. Mais j’ai beaucoup de gratitude pour les ressources que cela m’a permis de découvrir en moi.
Je pense qu’il me reste encore des remerciements à faire. Ils viendront plus tard je crois…
Pour toutes les personnes que j’ai rencontrées sur le chemin, pour les acteurs de l’endroit où nous allons et pour tous ceux qui nous aident à espérer.
Antoine VERNIER, sociologue, vit à Angers dans une cabane sans eau et sans électricité.
En 2022, il court 23 marathons de suite jusqu’à Davos. De ce voyage, il réalise un documentaire « Et si on parlait d’amour !? » et en écrit un livre qui porte le même titre.