Marathon 100/100 : 36 km (Ashdod – frontière nord de Gaza)
J’avoue que j’ai prié en partant. Comme jamais. En dialogue direct. Prié pour qu’il me soit permis d’atteindre la frontière, de parler à des soldats, leur remettre les petits coeurs, le projet dans son ensemble.
J’avais une appréhension pendant les premiers kilomètres. Celle que des soldats pourraient mal réagir à ma présence. Se sentir jugés.
Celle simplement d’une première à aller aux portes d’un terrain de guerre.
J’ai ressenti cela jusqu’à ce que je me reconnecte à ma vision première.
Me conduisant à évacuer les traces de jugement en moi. Que je rentre en compassion avec ceux que je viens voir. Pleinement. Cela veut dire, comprendre ce qui se passe pour eux. Pourquoi ils se retrouvent là, à faire cela. Comprendre que l’univers aurait pu faire que ce soit moi qui soit là, à leur place.
Je suis venu jusque là, parce que j’ai mal que ces jeunes risquent de tuer, d’en garder les séquelles, qu’ils le comprennent ou non, ou de se faire tuer.
Je viens pour leur dire à eux comme aux autres soldats que j’espère qu’ils puissent trouver la paix ensemble. Que je crois que ce sera alors l’exemple qui inspirera le Monde.
Peut être en suivant leur cœur. D’où ces cadeaux (les petits coeurs en verre) que les Dieux, par l’intermédiaire de Pascale, ont déposé dans mes poches.
Qui ne serait pas sensible à une manifestation gratuite quant à l’importance de leurs vies, de leur histoire ?
Après cela, j’étais beaucoup plus serein sur la route.
J’ai avancé vite. Peut-être parce que je n’avais pas besoin de recourir demain, peut-être parce que j’étais enfin chaud.
A 9h, j’avais fait 28 km.
Alors j’ai vu ces haies de fleurs.
Comment dire mieux que la vie nous aime. Quoique l’on fasse.
J’allais plus vite que d’habitude aussi parce que j’ai souvent remarqué que les personnes sont plus relaxes le matin quand il ne fait pas encore trop chaud dans les treillis.
8km avant l’arrivée j’effectue ma dernière pause dans une station essence. Je sonde le pompiste sur mes chances d’atteindre la frontière. Pour la première fois, quelqu’un me dit que c’est possible, même si on va me poser des questions. Mieux, il kiffe le projet. Alors que j’ai subi depuis mon arrivée en Israël plutôt de l’indifférence.
Je mets mes oreillettes pour écouter mes chansons d’amour favorites. La route est désormais vide. Juste des 4×4 de l’armée et de milices israéliennes qui vont et viennent.
Personne pour même réagir à ce coureur. Comme si chacun avait tellement ses scénarios en tête et que j’en suis tellement absent, qu’on ne me voyait pas.
Ça y est j’aperçois, qui va jusqu’à la Mer, un mur de 10m de haut. Au-dessus, le drapeau israélien qui flotte comme ultime injure ou démonstration de force.
Je retire mes écouteurs. Remets mon t-shirt avec ce coeur en 2 parties bien en évidence et je reprends ma course vers ma ligne d’arrivée.
Un soldat est à la première barrière. C’est Josef. Il a 18 ans, je vois tout de suite sa gentillesse. Je lui fais un signe. Il me répond.
Il y a le camp militaire à sa gauche et derrière lui l’entrée vers Gaza. Mais on ne voit rien, les murs sont immenses et en chicanes.
J’explique d’où je viens. J’essaie de demander à Josef si quelqu’un parle français dans le camp. Il ne se sent pas de déranger sa hiérarchie.
Mais il n’est pas incommodé par ma présence. Alors je m’assois. Il m’offre des bonbons, un truc plat, long et comme un arc en ciel, lorsque Elyashiv sort. Lui parle français.
Il est pressé mais grâce à lui, on fait la photo avec Josef et Avinoam. La remise de 3 petits coeurs aussi. Je vais pouvoir leur envoyer le site internet.
Je continue d’avoir envie de rester.
C’est comme ça que je rencontre Jonathan. Il est là depuis 4 mois et il parle français. Il est né à Créteil qu’il a quitté à l’âge de 2 ans.
Il est très touché qu’un français soit venu jusqu’à eux. Et moi je suis touché qu’il veuille bien m’expliquer la situation.
Jusqu’au 7 octobre, les gazaouis pouvaient sortir. Mais là, c’est finit. Ils nous cherchent, on y va, on leur rentre dedans. Mais pas trop. Parce que sinon, leurs amis libanais, iraniens s’y mettent aussi.
Là, au nord, c’est plus calme maintenant.
Ils rentrent dans Gaza régulièrement pour dire qu’ils sont là. Ça pète de temps en temps. Il parle des otages, de 90 soldats israéliens tués.
Il dit “Reste et tu vas voir les camions de nourriture et d’eau passer”. Une dizaine de véhicules arrivent soudain, avec à son bord, ni nourriture ni eau mais la police civile et la police des armées. “La police civile, c’est pour empêcher les milices qui ne veulent pas qu’on nourrissent Gaza de bloquer les camions. Et la police des armées, c’est parce que des fois, c’est nous qui allons un peu loin”.
Il ajoute, peut-être pour achever de me convaincre, ou de se convaincre, “on fait en sorte qu’ils soient nourris et malgré ça, ils nous agressent”.
Mon cerveau réagit avant que j’ai le temps de retenir mon étonnement du raisonnement : “Mais enfin, il y a ces murs”.
Ce à quoi il me répond “non mais ça ça fait 20 ans qu’ils sont enfermés. Ils sont habitués maintenant”.
Je suis touché qu’il accepte de m’expliquer ce qu’il vit. C’est là dessus que je suis concentré. Derrière les phrases, les avis, je peux sentir l’appartenance de naissance à un groupe, un groupe qui lui donne son existence. La définition du courage étant ainsi imposée : “servir son armée et montrer une forme de joie au combat, de capacité à être solidaire de ses camarades, de braver le danger, de ne pas remettre en cause l’explication officielle”.
Mais j’ai vu que mon étonnement l’a ramené un instant à un endroit plus intime en lui.
J’avais demandé s’ils pouvaient donner les 3 derniers petits coeurs à des palestiniens, omettant avec une incroyable naïveté, que parler seulement avec un palestinien pourrait avoir l’air d’être un acte de traîtrise.
Comme on m’a expliqué que c’était donc impossible et comme quelque chose en Jonathan m’a touché, je les lui ai confiés. Lui demandant de les remettre à ceux pour qui il sentira qu’ils peuvent créer quelque chose.
On fait la photo avec Jonathan et Elad.
Je vois alors 3 jeunes filles de l’armée devant nous. Comment vivent elles elles cette expérience ? Jonathan ne peut m’accompagner vers elles. Un juif ne parle pas aux filles. Mais il m’explique qu’elles ne vont pas dans Gaza. Que ce serait trop difficile émotionnellement pour elles.
Elles ont peu de temps elles aussi, mais je parviens à leur expliquer les raisons de ma présence. Jamais je n’avais vu encore des personnes réagir avec autant d’émotions à cette intention. Ce n’est pas un débordement d’émotions. C’est juste comme si leur cœur disait “Merci de toi aussi ressentir la vérité. Continues, c’est important parce que nous nous sommes simplement nées israéliennes et nous aimons nos familles”.
Jonathan me montre un mini bus. Une possibilité pratique pour repartir. Trouver un bus pour Jérusalem un peu plus loin.
Nathanaël va également à Jérusalem.
Alors je le suis.
C’est lui qui me dit que c’est impossible pour eux d’avoir un ami palestinien. Qu’il n’y a pas de solutions à ce conflit. Pas tant que quelqu’un, au lieu de réagir par l’agression, fasse autrement… je tente : …pardonne ?
On convient ensemble qu’il ne faut peut-être pas attendre que les dirigeants fassent cela, mais que chacun de nous, à chaque instant peut se rapprocher de cela.
Dans le bus, je m’observe sans émotions particulières. Certes je n’ai pas entrepris d’emmener les responsables à la table des négociations, je n’ai pas soulevé une armée d’amour mais j’ai pu réaliser entièrement le plan de la vision que j’avais reçu en janvier. Bien plus même. Notamment en montrant qu’il est assez “facile” d’aller devant Gaza… Si jamais “on” voulait vraiment arrêter la guerre.
Alors je me dis que le reste, les résultats ne m’appartiennent pas.
A Jérusalem, en arrivant, je me sens léger. Hâte de retrouver ma vie quotidienne, mes enfants et découvrir ce que la vie me demandera pour la suite.
Et tout se passe alors comme si les Dieux étaient en joie.
En plein centre ville, j’ai soudain l’envie de descendre et de manger. J’aperçois un restaurant. J’y suis attiré.
Tout le monde parle français. Le serveur s’appelle Yaië. Il ne devait pas travailler aujourd’hui. Sa patronne l’a appelé il y a une heure.
Il fait des études pour devenir avocat. Après ces études, il devra faire ses 3 ans d’armée. Nous échangeons longuement. Notamment sur le fait qu’en Israël il y a beaucoup de pratiques religieuses mais que l’incarnation spirituelle est beaucoup plus rare. Le “aimer vous les uns les autres” en actes.
Le projet qui vient de se terminer l’inspire beaucoup. Il en parle à toute l’équipe, y compris aux 6 clientes religieuses âgées de 18 ans.
Sa patronne me propose alors de choisir la prochaine musique du restaurant.
C’est ainsi que je fais ce live, pour vous rassurer, pour convoquer Madonna et choquer les apprenties religieuses qui sont malheureusement interdites de danser. Une ou deux me faisant l’honneur de mal masquer leur amusement et leur frustration.
Et enfin je termine cette journée à la maison d’Abraham. Il y a 70 places dans cette maison du secours catholique avec vue imprenable sur la vieille ville. Mais aucun autre hôte. Guerre et tourisme ne font pas bon ménage. Bernard, le directeur m’offre la plus grande chambre, celle avec un balcon. La 111.
On dine avec les autres bénévoles et les sœurs. Tout le monde parle français. Le cuisinier qui est un génie nous régale de frites, de salades, de brochettes et de glaces. Et nous passons la soirée autour de mon témoignage.
La plupart d’entre eux vivent ici depuis très longtemps et bien que la ville soit extrêmement calme actuellement, trop pour les petits commerçants, les planètes ne leurs semblent pas du tout alignées pour la paix.
Nous concluons par l’espoir, la Foi, être ensemble et faire la vaisselle.
PS : si cette histoire était un film, il y aurait le nom de toutes les personnes à remercier. Ainsi qu’une musique pour accompagner le moment où vous aussi vous reprenez vos vies. Il y a déjà la musique. Elle est écrite et interprétée par Joël. Merci à lui. Ça s’appelle Love toi et marche.
PPS : je vais sans doute prendre maintenant un avion pour Paris. L’occasion d’aller voir si l’Elysée veut me féliciter, voir qu’on descende ensemble les Champs Élysées. Ou même organiser un grand projet pour la paix. Je vous raconterai cette éventuelle grande réception.
PPPS : Merci pour tout et à chacun de vous. Nous avons réussi, cette première partie. Et il nous reste encore beaucoup à aimer.
Antoine VERNIER, sociologue, vit à Angers dans une cabane sans eau et sans électricité.
En 2022, il court 23 marathons de suite jusqu’à Davos. De ce voyage, il réalise un documentaire « Et si on parlait d’amour !? » et en écrit un livre qui porte le même titre.