Marathon 33/100 : 46 km, (Pobersach – Krumpendorf)
L’unité est la clé.
Hier soir la campagne autrichienne, les petits chats dans la cour, les odeurs de vaches, le pain complet, la simplicité, les bacs à fleurs et les jeans avec des traces de terre.
Et aujourd’hui les jardins privés, donnant sur le hors bord, attaché au ponton, les lunettes noires, les maillots de bain et les Rolex.
Décidément le monde me paraît petit. Je continue de croiser les mêmes arbres, les mêmes herbes folles au bord des routes, les mêmes marques de voitures, les mêmes genre de supermarchés, les mêmes types de personnes. Le pressé, l’ange qui veut m’aider, celui qui me snobe, celui qui attend sa bière, celle qui va au travail, celle qui promène son bébé, celui qui court…
Dans la ferme où j’étais hier soir, ils ont tenu à me préparer un pique nique pour une armée entière. 2 sandwichs au pain méga complet, 1 oeuf, 2 pommes, une Demi cagette de fruits rouges, des cornichons et des petits gâteaux. Pour la route.
Ils m’ont même fourni un petit bidon d’huile d’olive à ma demande pour m’occuper un peu plus sérieusement de mes tendons…
J’avais encore galéré hier. J’ai eu un sursaut d’orgueil. Je me suis dit, tu prends ton temps, ce n’est que 42 km. (46 finalement ) Il n’y a aucune raison pour toi que ce soit un chemin de croix.
Je me suis inspiré de Serge marquis. Un médecin québécois qui raconte qu’à 30 ans (plus tout à fait sûr. Peu importe), mal dans sa vie, il se retrouve à se vider de son sang sous le regard affolé d’autres docteurs.
On veut l’opérer. Lui a l’intuition que tout cela vient de pensées dans sa tête. Il refuse l’opération. Il est concentré sur sa douleur. Il regarde même le sang qui s’écoule de son corps via des petits tuyaux. Il espère ainsi…
Une infirmière rentre dans sa chambre. Il sent instinctivement sa douceur. Elle lui dit cette phrase qui va tout changer : “monsieur je vais vous aider. C’est moi qui vais regarder votre douleur cette nuit”.
Il ressent immédiatement un apaisement…
Le lendemain, il a cessé de saigner et n’a pas eu besoin d’opération. Cette expérience va évidemment changer sa vie et faire de lui l’homme qu’il est devenu.
Alors ça restait long, lent, mes 20 premiers kilomètres… Mais les douleurs se sont finalement dissipées, lorsque j’ai enfin atteint leur lac Léman, il ne me restait qu’une dizaine de kilomètres. Je bombais presque le torse devant les retraités bronzés et indifférents.
Jusqu’à ce qu’un radar, probablement très mal etalonné me flashe à la vitesse d’un escargot énervé : 8km/h. Voir vidéo.
Je filais ainsi vers un hôtel que j’avais repéré comme moitié moins cher que les autres. Réservé aux adultes ! Hum… Ils doivent gagner leur vie sur d’autres types de prestations… Peu importe. Un hôtel, c’est un hôtel ! Et puis c’est bien que les gens s’amusent. Ça m’avance en plus de 5 km pour demain…
Mais peut-être je ne le sentais pas vraiment. Je me vois soudain m’arrêter à 2 km de ce but. Un vélo rose, des fleurs, des petits coeurs… La placette m’attire. Je m’approche de ce qui me paraît pouvoir être un hôtel. C’est comme cela que je rencontre Marlyse. Contraction de Marie Elisabeth. Décidément !
Elle a 71 ans. Sa mère va fêter ses 100 ans et elle précise en riant “elle va sur Facebook. Normal à son âge”. Je ne sais pas comment parler d’elle. Pendant 20 minutes, en réaction au projet elle m’expose sa vision du monde. Pour elle, les prétendus grands de ce monde sont nombreux à mentir. Ils veulent du mal au peuple. Sont eux-mêmes souvent menacés. Mais la vérité va venir et elle retrouve son sourire en parlant de la lumière qui est en train de prendre sa place selon elle. Je remarque qu’elle chuchote quand des clients entrent dans sa boutique. Ensuite elle prend ma main et elle fait se croiser nos doigts. Elle dit, “voilà comment la lumière arrive”.
Je ne sais pas pourquoi, je fixe nos doigts. J’y vois comme les ballerines d’un parapluie. Ça m’émeut.
Je ne suis pas complétement à l’aise en même temps avec ses propos. J’ai entendu ce même discours en France. C’est à l’opposé de ce qui nous est dit. Les grands débats d’opinions sur la couleur des parties en France paraîtraient alors comme une simple distraction permettant d’opposer un peu plus les gens entre eux tout en les maintenant dans le même mensonge global.
Mais on ne peux pas vraiment vérifier ces hypothèses. Et combien d’autres hypothèses possibles ? Et puis que faire de ça ?
Mais ce qui m’interpelle tout de même, c’est qu’elle est différente des personnes que je rencontre habituellement. Elle devance tous mes gestes. Elle me devine.
Quand je repars : “Attention, il y a un panneau derrière vous !”
Elle ajoute “je crois en vous”. Et comme on énonce une liste de choses à faire, je l’entends conclure : “si vous ne trouvez pas où dormir, revenez me voir. Je termine à 18h”.
Pourquoi je me suis arrêté ? Pourquoi cette rencontre ? Pourquoi tout ce discours sur la face sombre que l’on nous cacherait, peut-être ?
Et pourquoi l’hôtel où je suis est manifestement un lieu échangiste…
Intriguant, dérangeant…
Je n’ai pas trop osé sortir en fait !
J’aime autant éviter les malentendus.
Pourquoi l’unité est la clé ?
Parce que vous voyez bien que nous avons l’air d’avoir bien des différences. Entre le rassemblement national, les verts, les rouges, les échangistes, les conspirationnistes, les “mais n’importe quoi !”…
Mais l’humanité, c’est tout ça. Accéder à la puissance du Nous qui dépasse le Je, c’est faire un pas vers l’autre. Pas devenir lui, pas essayer qu’il devienne Nous, mais juste connaître cette autre part de Nous.
Alors il devient facile de comprendre pourquoi quand je donne à ce Nous, plutôt que lui prendre, je vais recevoir.
PS : pourquoi je préfère aller direct dans un hôtel plutôt que chez des habitants. Je ne préfère pas spécialement. Simplement j’arrive parfois seulement vers 14h. Parfois 15. J’ai mal aux jambes, j’ai faim, j’ai envie d’une douche et de dormir. Et ensuite c’est important pour moi d’écrire. Alors je fais ce qui est le plus simple et qui peut m’aider à pouvoir repartir le lendemain.
Et puis je n’aime pas demander sauf quand je me sens appeler à le faire. Ou que les circonstances l’exigent.
Je savoure beaucoup plus ainsi lorsqu’on m’offre des cadeaux.
Et enfin, oui ça me fait dépenser énormément d’argent. S’il y a 100 jours comme ça, ça fera presque tout ce que j’ai.
Mais comme dit plus haut, je crois que nous sommes un. Donner au Un, c’est juste semer pour moi, pour nous.
Et chacun sait au fond de lui, que tu n’auras jamais de grands résultats si tu n’as pas pleine confiance en ce que tu fais.
Antoine VERNIER, sociologue, vit à Angers dans une cabane sans eau et sans électricité.
En 2022, il court 23 marathons de suite jusqu’à Davos. De ce voyage, il réalise un documentaire « Et si on parlait d’amour !? » et en écrit un livre qui porte le même titre.