Marathon 94/100 : 58 km, 900 D+ (Zeytinada Pansiyon ve Gözleme – Anamur)
Anamur, je suppose c’est un turc trilingue (anglais – français) qui l’a nommé ainsi : An Amour. Il avait deviné que le projet passerait un jour ici. Ils sont vraiment forts les Turcs.
J’ai crié en arrivant dans cette ville. Pas seulement pour dire à ce turc que j’étais arrivé. J’ai crié comme ça, juste à côté du trottoir, pour défier les Dieux. Leur dire “n’hésitez pas à monter encore la barre, je la monterais moi-même encore de quelques centimètres”. Après je me suis écroulé, comme un gâteau à la crème oublié au soleil.
J’avais de l’avance à Antalya. J’espérais baisser le kilométrage pour la fin. Mais la géographie des hôtels, le bus, les jonctions, le timing conduisent à une fin de parcours très relevée.
Peut-être c’est moi, peut-être c’est eux, mais c’est comme s’il y avait, dans le maintien de l’intensité des efforts, une partie du plan.
J’appréhendais ce matin à 6h. Comme chaque fois qu’il y a beaucoup de kilomètres à faire. J’avais ce début d’ampoules sur le petit orteil, des chevilles qui cognent, de gros dénivelés, une route étroite et bien sûr la chaleur.
Bien sûr que je n’ai plus rien à prouver. Que l’on ne peut pas me reprocher de n’avoir pas mis toute mon énergie pour que mon questionnement, la thèse que je porte sur la folie qu’est la guerre, ait droit de cité.
Mais en moi, le moindre kilomètre où j’abandonnerais, en faisant du stop par exemple, entacherait la force même du projet. C’est pourquoi je sens que je ne peux pas me permettre de faillir. Parce que je veux pouvoir m’autoriser à être exigeant, dans les rêves que je porte, là où je vais.
Alors, j’ai cherché à avancer le plus vite possible aux heures les plus fraîches.
J’étais très aidé à trouver l’énergie. En revenant simplement sur ce que j’avais vécu la veille. Dans la pension en effet, il y avait la belle Noémi hier soir.
Noémi est italienne mais elle parle parfaitement français. Elle connaît le mot alchimie. Mais elle n’y croit pas trop.
Déjà ancienne assistante sociale, elle a choisi de partir, là, maintenant. Quitte à passer pour une parasite de la société aux yeux de ceux qui croient connaître quelque chose à la vie.
Elle trouve à se loger en rendant des services. Elle aime voir où cela mène. Que ça change. Ses parents aussi ont eu des bougeottes dans la vie, y compris amoureuses. Ils sont recordman du nombre de mariages.
Elle ne croit pas que l’amour dure toujours. Mais elle aimera toujours ses ex.
Elle ne veut pas être emprisonnée mais elle voudrait qu’on lui vole son cœur. Elle trouve que le monde va mal et que ça durera toujours mais elle aimerait autant que je réussisse à arrêter la guerre.
Elle se sent un peu triste aujourd’hui. Elle repense à toutes ces personnes qu’elle connaît et qui souffrent. Elle aimerait que le monde sache. Au moins moi.
Mais il y a eu cet enfant qui est venu dormir avec elle hier. Et il y a moi aujourd’hui.
Elle est toute en retenue quand on parle ensemble et puis quand vient le moment de notre photo elle me donne tout son amour.
Quand vous recevez son cœur, probablement façonné dans l’antre de l’Etna, vous avez quand même tendance à penser que la machine à créer de l’énergie indéfiniment ce sont ces parents qui l’ont inventé. Une merveille que le monde, et moi-même, ne sommes pas prêts d’oublier.
Dans la seconde partie de route, j’écoute l’écrivain voyageur : Olivier Germain Thomas. Il évoque le bouddhisme, l’hindouisme, l’importance de la nature dans la spiritualité japonaise et je me sens partir. Chaque pas est une initiation. Je me vois loin. Plusieurs galaxies me séparent de la civilisation, de moi-même. Courir devient mon initiation, d’aller chercher le sublime au fond de moi. Ma manière de prier, de te dire que vivre est incroyable, que tu es incroyable à l’évidence toi aussi. Que tu es une personne immense, sans limite. Ne laisse personne te faire croire le contraire.
Qu’à tout instant, si tu me donnes la main, nous pourrons aussi faire des miracles. Des choses toutes simples et tellement puissantes. Être ensemble par exemple et sentir en nous l’infini.
Je fais une sieste au paradis. Tout cela m’a fatigué. Tu devineras l’endroit en regardant les photos.
Et puis il y a les derniers kilomètres. Là, j’ai même augmenté de 7 km mon itinéraire initial. Parce que j’avais le vent, parce que j’étais chaud et parce que mentalement, avoir encore plus de kilomètres demain m’aurait obligé à demander à ma maman de me faire un mot d’absence.
Pour ces derniers kilomètres, je mets de la musique. Gaël a la gentillesse d’ouvrir mon horizon en m’envoyant ses sélections. Là, j’écoute en boucle un vieux truc que j’adore : la bande originale du film “The greatest showman”. L’histoire de personnes différentes qui s’affirment et vont au devant du public, ceux qui sont aussi prisonnier du c’est “comme ça”, pour danser. Les faire rejoindre le bal. Pour montrer la joie que leur donne leurs rêves.
Dans ces derniers kilomètres, non seulement, je sais que je vais encore réussir à boucler cette journée. Mais s’ajoute la certitude que l’Amour est en train d’éveiller tous les cœurs.
Mais ce qui me transporte le plus, c’est cette immense gratitude que l’Amour ait voulu que je sois une des parties de sa sublime armée.
Antoine VERNIER, sociologue, vit à Angers dans une cabane sans eau et sans électricité.
En 2022, il court 23 marathons de suite jusqu’à Davos. De ce voyage, il réalise un documentaire « Et si on parlait d’amour !? » et en écrit un livre qui porte le même titre.