Marathons 63/100 : 38 km, (Debar – Haskovo)
“Bonjour, j’ai été très émue par votre démarche de venir en Israël. Je suis française de religion protestante mais surtout athée mariée à un juif israélien et je vis en Israël dans le Golan.
Je voulais juste vous dire que si vous voulez venir nous voir pour recevoir un avis sur la situation actuelle vous êtes le bienvenu chez nous. Nous vous accueillerons avec grand plaisir. (…)”
24 mai 2024 – Sophie
Le Golan est un territoire syrien occupé depuis 1967 par Israël et annexé contre l’avis de la communauté internationale en 1981.
Le Monde – 30 juillet 2024
Benjamin, le chef israélien, s’est déplacé dans le Golan à la suite d’une roquette qui a tué 12 adolescents.
Il a déclaré “le Hezbollah va payer le prix fort”.
(La suite est pure fiction)
Hassan, le chef incriminé, a levé les yeux au ciel, puis les mains en signe d’innocence et il a dit “c’est pas moi”.
“Purée, dès qu’il y a une embrouille, c’est nous qu’on accuse”.
Ça a mis en pétard Benjamin qui venait d’obtenir des garanties pour la livraison d’armes américaines. “Vous êtes les seuls à avoir ces roquettes”. “C’était des gosses merde !”.
Hassan a perdu lui aussi son sang froid “Dis donc Benji. Quand toi tu pulvérises à tour de bras d’autres gosses à Gaza, tu sembles pas aussi ému.
Et puis je te rappelle que le terrain de foot où était les tiens, tu nous l’as volé”.
“Toujours cette vieille histoire. C’était nos terres. Depuis toujours. Moïse tu connais ?”
“Tu sais au fond, je pense que tu as un grave bagage traumatique. On dirait que depuis la shoah tu as besoin de reproduire ce que vous avez vécu. Mais tu sais les grands malades comme toi, ils peuvent être soignés”.
Benjamin qui est un des nombreux admirateur de Nicolas Sarkozy a répondu dans un français impeccable : “casse toi pauvre con”.
Pendant toute la scène, il y avait derrière les barrières ces manifestants israéliens qui demandaient à Benjamin d’arrêter.
Et notamment cette femme qui ne savait comment consoler sa voisine qui avait perdu son fils.
Elle essayait de ne pas céder à la peur. Son mari refuserait de quitter leur maison. C’était sa vie ici. La promesse a son père. A ses croyances aussi. Et puis pour aller où de toute façon…
Mais quelque chose la heurtait par dessus tout. C’est que bien qu’athée, elle avait lu la Thora et le Coran.
Les 2 disent la même chose que Jésus : “Ne fais pas aux autres ce que tu n’aimerais pas qu’ils te fassent”. Et plus tard, Jésus ajouta comme, dans le doute, on préfère préciser “ne mettez pas un chat dans le lave linge” : “tu ne tueras point”.
Benjamin et Hassan ne se revendiquaient-ils pas de ces sagesses ?
“Celui qui tue un Homme tue toute l’humanité. » Sourate 5, verset 32 – Coran
“Si Dieu a créé un seul homme, c’est pour t’enseigner que quiconque détruit une seule vie (d’Israël) la Thora le considère comme s’il avait détruit le monde entier”.
– Ce matin. En direction de Haskovo –
La journée était pour une fois relativement facile. J’ai fait néanmoins de longues pauses dans des cafés, des épiceries, des stations services.
Parce qu’il y a tout de même les raideurs et puis surtout la prudence. A tout moment, quelque chose peut tout compromettre. Je reste vigilant. A prendre chaque journée comme un défi.
Toujours ravi de rencontrer ces personnes dans leurs commerces qui toute la journée en servent d’autres. J’aime qu’on n’ait pas la même langue. Ça m’oblige à mieux faire sentir que je crois qu’elles font quelque chose de très important. Permettre à d’autres, comme moi, de faire ce qu’ils croient devoir faire. Fusse en vendant des croissants conservés depuis 1 an dans des sachets en plastique.
J’ai pensé à Samuel. Un enfant de ma classe de CM2. On devait écrire quelques villes sur une carte de France à coller dans notre cahier. Grâce à lui, j’ai pensé qu’on ne verrait pas que je ne comprenais rien à ce qu’on faisait à l’école. Il avait collé la carte à l’envers. Tout le monde avait rit. Même moi, j’avais même pas pensé à ça.
Sauf que Samuel était yougoslave…
Tout ça pour dire que j’ai désormais l’impression que la route descend jusqu’à Istanbul. On le voit sur la carte d’ailleurs. Ça descend !
Impression renforcée par un vent qui me poussait légèrement.
Bref une belle journée. Alors j’ai pensé que ce serait aujourd’hui que j’appellerai l’ambassade de France en Turquie pour savoir s’ils avaient reçu mon mail.
Et puis mon esprit s’est promené. Je me suis mis à m’imaginer traversant la Syrie, puis le Liban. Approchant la frontière, je vois devant moi, amassés, les 100 000 combattants du Hezbollah. Il y a des tentes, des blessés, des engins de ferraille qu’on prépare…
Comme sur tout le reste de mon chemin, les premiers hommes qui me voient commentent entre eux. Je les salue. Alors ils me renvoient mon salut à leur tour.
Je m’arrête au milieu d’un attroupement. Quelqu’un propose de remplir mon bidon. Un autre me demande d’où je viens.
Ils sont alors tous étonnés. Ils cherchent mon vélo… N’en reviennent pas !
Ils ne songent même pas à me demander pourquoi je fais cela, tant cette idée leur paraît surréaliste.
On demande alors à ce que le chemin me soit ouvert. Que l’on range un peu le bazar.
Les pneus, les barbelés, les bières…
Il y a des fossés, quelques mauvaises odeurs. Je vois d’où elles viennent. Je les regarde. Je ne veux rien ignorer. Mais je ne peux rien au passé. Je ne peux rien au mystère de la vie. Aux souffrances de chacun de nous.
Je reprends ma course sous un soleil écrasant. Encore quelques kilomètres.
Et puis, je vois enfin le petit village perché sur le Golan. J’entends une rumeur, des cris de joie. On se rassemble…
Mes jambes sont légères. Je sais que je suis là où je devais venir.
Sophie ouvre ses bras. Ses larmes coulent et elle dit “alors tu es venu”.
“Oui, c’est toi qui m’a invitée” lui répondis-je en souriant. Et j’ai ajouté “par contre, je ne trainerais pas trop demain matin, j’ai aussi un copain à aller voir à Khan Younès”.
Mais en réalité, pour l’instant, je ne suis arrivé qu’à Haskovo. Une magnifique ville touristique de 70 000 habitants où l’on trouve, figurez vous, la plus haute statut d’Europe de Marie. Vous savez, celle qui a aimé Jésus. Celle dont il a dit, elle est celle qui me comprend le mieux et qui a passé le message, il n’y a pas à craindre la mort.
Quand je suis arrivé devant mon hôtel, Vladimir scannait ma pièce d’identité lorsque j’ai vu que je venais de recevoir un mail. Le destinataire : l’ambassade de France en Turquie.
La consule adjointe propose de me recevoir le 8 août si j’arrive à la rejoindre d’ici là.
J’explose de joie. Vladimir comprend que j’aime qu’on scanne ma carte d’identité et il a la gentillesse de ne pas me juger.
Antoine VERNIER, sociologue, vit à Angers dans une cabane sans eau et sans électricité.
En 2022, il court 23 marathons de suite jusqu’à Davos. De ce voyage, il réalise un documentaire « Et si on parlait d’amour !? » et en écrit un livre qui porte le même titre.