Marathon 55/100 : 33 km, (Nikola Tesla – Bela Palanka)
“L’homme, mes enfants, aime comme il voit” Angèle de Foligno – 12e siècle
Une étape plus courte mais pas si facile lorsque vous avez dormi sur le tarmac d’un aéroport. On m’a attribué à l’arrache une climatisation portative qui n’a rien à envier à un Boeing coincé dans une chambre de 10m2.
Quand j’ai finit par choisir la chaleur en coupant le kérosène, vers 2h du matin, le voisin du dessous s’est mis à proposer un bal de chansons populaires serbes pour mon plus grand plaisir.
A 6h, j’ai couru 2 km et je me suis affalé dans une station service. On m’a servi un café et là seulement, j’ai commencé à ouvrir un œil.
Un type arrive alors avec un bidon d’huile qu’il ne parvient pas à ouvrir. On assiste à 5 à cette scène.
Chacun essaie. Je suppose qu’ils se demandent qui est Arthur dont je ne doute pas qu’ils connaissent la légende. Ayant l’imagination que vous savez, je sens que mon destin va se jouer entre une pompe à essence et des frigos remplis de sodas.
Je laisse une seconde de silence puis je leur déclare en saisissant le bidon d’huile : “the force of Kilian Mbappe is in me”.
Humpf !!! Oui bon…
Le pompiste est allé chercher de la haute technologie. Une pince…
Tout ça fait que, à 7h seulement je décolle. Direction la moyenne montagne que je retrouve enfin. Un air de Bugey ou de Corse. Un temps moins chaud et une source d’eau au milieu de la route qui m’ont permis de clôturer vers 12h cette journée.
Je n’ai pas internet en Serbie. C’est pourquoi je télécharge des podcasts. Pas de pubs, des rencontres passionnantes.
Je vous les partage parce qu’elles font à mon avis partie intégrante de mon cheminement vers la destination. D’où cette citation que j’utilise beaucoup.
C’est facile d’aimer ceux qui nous sont agréables. Mais même nos proches parfois ils ne nous sont pas si agréables.
Alors il faut cet effort d’écoute, de compréhension, jusqu’au moment où l’on voit.
Pour illustrer cela, je mets en parallèle l’interview passionnante du grand rabbin Marc-Alain Ouaknin, à ce difficile reportage sur “la décision d’exterminer les juifs”.
Dans ce dernier vous entendez Hitler déclarer “j’ai souvent été prophète dans ma vie. S’il y a la guerre, ce sera la faute des juifs”. Ça pique…
Je crois que ça nous donne une piste pour détecter un faux prophète.
D’un côté, on entend la beauté infinie de la culture juive. Les textes fondateurs, l’unité des hommes face au mystère, la joie d’interpréter et par là de se transformer individuellement et collectivement, et de l’autre l’ignominie d’un processus complexe, implacable et dont la source reste, quand on creuse, énigmatique.
Le père d’Yves Duteuil était juif. Quelqu’un d’extrêmement angoissé. Ce qui dérangeait le jeune Yves. Yves Duteil a écrit la chanson du siècle dernier. “Prendre un enfant par la main”.
Franchement, lui ne prétend rien mais je me suis dit voilà quelqu’un qui a livré une parole et que notre monde a moqué.
Il est Maire, engagé en Inde et dans beaucoup d’associations au profit des enfants et vit une histoire d’amour depuis toujours avec sa femme.
Ce qui me passionne, c’est l’intrication entre l’histoire collective et les histoires individuelles.
Et ce qui fait qu’une histoire individuelle et surtout une histoire d’amour peut changer l’histoire collective.
Une dernière illustration de notre difficulté à voir et donc à aimer au travers cette phrase de Christian Bobin. Lors d’une interview donnée 1 an avant sa mort. Je pressens, sans pouvoir l’affirmer, qu’il se savait à ce moment là condamné.
“Nous sommes à l’abri de la mort et nous ne le savons pas”.
Marc-Alain Ouaknin – RCF Visages
La décision à l’origine de l’extermination des juifs – LSD France Culture
Yves Duteil – RCF visages
Demain 49 km. Une manière de saluer les formidables habitants du Maine et Loire. Ça va être long…
Mais je crains surtout l’étape d’après. Le passage de la frontière vers la Bulgarie. Mon plan raccourci (1 marathon de moins que j’aimerais convertir en 1 journée de repos à Sofia) repose sur des indications d’un passage en montagne selon Maps me. Que je sais, pour avoir fait 1 km en 3h en Slovénie, d’une fiabilité discutable.
Normalement le seul passage c’est une autoroute en fond de vallée.
Mais bon la vie, c’est risquer. C’est pour cela qu’elle a un goût de champagne comme disait sœur Emmanuelle.
On verra…
Antoine VERNIER, sociologue, vit à Angers dans une cabane sans eau et sans électricité.
En 2022, il court 23 marathons de suite jusqu’à Davos. De ce voyage, il réalise un documentaire « Et si on parlait d’amour !? » et en écrit un livre qui porte le même titre.