Marathon 34/100 : 37 km, (Krumpendorf – Saint Marxen puis retour à Klopeiner see, en voiture)
Je savais qu’il allait faire chaud aujourd’hui. J’avais repéré une guesthaus à 35 km. Pas trop loin, pas trop cher.
Peut-être une étape de récupération.
Se réveiller en longeant la fin du lac par la grosse route départementale vide à 6h. Puis enchaîner par une traversée de 10 km de la grande ville : Klagenfurt.
J’étais très lent jusqu’au bout de la ville. Du 8-9 km/h par centaines de mètres qui deviennent, à l’échelle de mes 2 premières heures, du 5, 6 km/h de moyenne.
Parce que je cherche ma route, parce que le corps n’est pas d’accord de faire plus…
Je pense parfois que les douleurs servent à me protéger dans la durée. Comme je pressens quelque chose en moi qui prépare les étapes plus difficiles à venir.
En buvant moins que mon corps en aurait besoin par exemple. En profitant de 2h à plus de 30 degrés sur le bitume pour accélérer, pour me tester.
Je parle de cette seconde partie de route où je retrouve enfin ma manière de courir. Un rythme correct et où j’ai la sensation de pouvoir faire ça la journée entière.
Je prends soudain conscience que dans ma tête, je me suis fait une telle montagne d’aller jusqu’à Jérusalem, que je ne parvenais pas à penser que ce soit possible d’avancer sans brûler un peu mon corps.
Mais je crois que c’est en train de changer.
J’écoute David Foenkinos, interviewé sur RCF, dans l’émission Visage. C’est notre écrivain français peut-être le plus lu à l’étranger. Il évoque depuis peu un coma qu’il a vécu à 16 ans. Une Expérience de mort imminente. C’est à partir de là qu’il s’est mis à avaler les livres et à écrire alors que ni lui ni personne dans sa famille ne faisait cela auparavant.
Alors il croit à la prédestination. Un déclencheur nous permet de retrouver le chemin prévu pour nous.
Quand je cours, j’imagine voir mon âme. Cette partie sublime de moi. Elle est loin devant. Pile dans le bon équilibre d’une rivière qu’est la vie. Dans son débit puissant, imprévisible, chaotique, elle surfe et kiffe le mouvement.
Moi je m’accroche aux cailloux, j’essaie parfois de rejoindre, à contre courant la rive, j’ai peur de manquer de force, de me noyer. Et puis enfin je fixe cette âme. Et quand je parviens à me laisser la rejoindre, tous les obstacles se soulèvent pour danser sous nos pas.
A 12h30, je suis enfin à Saint Marxen. Je marche, je scrute mon GPS, la rue, la maison blanche sous la chaleur. Dans ma tête, il y a un merveilleux lit au frais, une douche glacée et moi qui m’endors. Dans la réalité, il n’y a nulle âme qui vive ici.
Que faire… Prendre de nouveau la route !!! Celle où l’on voit l’air sur l’horizon trembler en vagues à cause de la chaleur… 1,5 km de nouveau, pour un espoir.
J’interroge 2 jeunes autrichiens tatoués et saouls. Ils sont comme heureux que quelqu’un ait besoin d’eux. Que quelqu’un croit qu’ils savent des choses. Ils me donnent des indications où il manque malheureusement beaucoup trop de mots dans les phrases qu’ils tentent pour que ça ait le moindre sens.
Conscient que les froisser les rendraient aussi agressifs, qu’ils sont doux avec l’homme qui croit en eux, je les remercie.
Et puis j’arrive à une nouvelle pension fantôme promise par Google.
Une voiture arrive comme moi dans cette cour qui ne promet aucun miracle. C’est Hubert. Je vois son immense maison, ancienne pension. J’ai espoir que nous ayons un rendez-vous du destin avec la maison. Et pourquoi pas Hubert.
Mais Hubert, terminant négligemment une glace fraise-chocolat me suggère finalement de retourner 4km en arrière…
On est en plein soleil, je commence à me sentir mal. Je me mets à l’ombre. Il palabre avec un voisin et finit par me faire signe : monte dans la voiture…
Je tente de lui redire que ce n’est pas la direction de Jérusalem mais je cède à sa vision ne serait ce que pour cette perspective de m’asseoir.
Nous voilà, quelques minutes plus tard, devant le lac destination des autrichiens en weekend. Klopeiner See. À l’entrée de la ville j’ai le sentiment que je devais descendre.
Mais il insiste pour aller au coeur de la ville. Là où les hôtels sont à chaque coin de rue.
Je vous la fais courte… J’ai fait 4 adresses. 4 km en tout. Au milieu, j’ai eu le bon goût de m’offrir des spaghettis, une sieste…
Et puis me voilà enfin accueillit. Près de l’entrée de la ville où j’aurais aimé m’arrêter. Il est 16h.
Je ne peux pas m’empêcher de penser que c’était écrit…
Le monsieur qui tient la maison est en slip. Un bleu. Il est hyper sympa. Pas le slip. Lui.
Pourquoi il est en slip ? Parce que sa mission dans les prochaines minutes, c’est tester la température de l’eau de la piscine. Rien ne l’empêchera de faire ça. Ni un touriste américain, ni un million de dollars.
Il a une note pourrie sur Google. Rien à voir avec les chambres. Juste une approche singulière de la vie qui le rend inadéquate aux convenances.
Cette piscine c’est lui qui l’a construite.
Et je comprends la mission température quand je l’entends appeler sa femme. Elle cesse tout pour venir déguster ce moment, avançant vers leur scène comme une fée. En effleurant à peine le sol.
La joie qui émane de ces 2 grands enfants est partout sur le bleu de l’eau, l’air qui vient jusqu’à mon cœur, leurs yeux surtout.
Alors me vient cette question sans réponse “comment l’amour arrive entre 2 êtres” ? Une question parce qu’on voudrait percer le mystère de ce qui transforme ainsi le monde pratique en gigantesque parc d’attraction.
A demain, en Slovénie si tout va bien. 48 km plus loin. Plus que 4 avant d’être 4.
“Avec tout l’argent du monde on ne fait pas des hommes. Mais avec des hommes qui aiment on fait tout”. Dans le cahier d’Elea
Antoine VERNIER, sociologue, vit à Angers dans une cabane sans eau et sans électricité.
En 2022, il court 23 marathons de suite jusqu’à Davos. De ce voyage, il réalise un documentaire « Et si on parlait d’amour !? » et en écrit un livre qui porte le même titre.