Marathon 17/100 : 48 km (Altkirch – Seewen)
Comme on quittait la France hier soir. Comme il y avait déjà de quoi se féliciter, on s’est offert avec Joël la spécialité d’Altkirch : carpe frie aux frites. C’était une première pour lui et moi. Et je dirais que c’était l’essentiel saveur la sensation de la première fois.
Alors, on ne peut pas dire que ces calories là m’ont complètement aidées. Par contre, la beauté des paysages a été un vrai régal. Des vallons baignés de lumières comme il n’y en avait pas eu jusque là. Des forêts riches, joyeuses où l’on circule sur des chemins harmonieux en terre bien entretenus. Façon Suisse.
Joël m’a vite rattrapé. Juste avant la frontière km25. Mais les côtes Suisses ne lui ont laissées aucune chance avec son vélo poids lourds. Voir les 2 vidéos.
Sinon, on peut mentionner que la Suisse n’est pas un pays si sûr que ça. En pleine forêt, j’ai eu le privilège de me faire attaquer par une buse. Comment elle fait ? Elle se fait discrète et lorsque vous ne vous y attendez pas, parce que votre tête est très occupée à se raconter des histoires, elle fonce sur la dite tête qu’elle frappe de tout son poids et toutes griffes dehors. Je ne dois la vie sauve, pour totalement exagérer, qu’à mon absence de pilosité capillaire.
Il y a peut-être une leçon. Je crois que ça m’a permis d’expérimenter que je suis pour la paix, mais que comme tout le monde, si on vient me chercher, quand bien même je ne doute pas que de son point de vue, il y avait de bonnes raisons à cette attaque, manifestement je vais me défendre. En l’occurrence, j’ai jeté la première pierre et disons que j’ai été pris au sérieux.
Je ne vis pas dans cette forêt, j’ai donc préféré pas trop m’investir sur ce conflit.
La paix dans mon monde étant revenue, mon esprit s’est remis à rêvasser… Notamment à la manière de trouver à chaque fois la voie du milieu.
Tant et si bien que j’ai repensé à cette scène de Star Wars. Dans l’épisode 1 il me semble.
Luke Skywalker doit impérativement réussir à détruire les forces de l’ombre. Pour cela, avec son vaisseau, il s’engage dans un circuit à très haut risque. Il doit viser dans un timing précis le coeur du réacteur. Une fenêtre extrêmement étroite. Probablement une chance sur un million de réussir. Mais il sait qu’il y a une chance. Qu’il doit essayer. Utiliser pleinement toutes ses qualités en même temps pour que le miracle se produise.
Voyez ce que fait le cerveau pour aller chercher l’énergie. J’étais dans cette mission de Jedi. 1 chance sur probablement bien plus qu’1 million de constituer, en mettant en œuvre ce projet, un déclencheur pour un changement de paradigme à notre humanité. Rien de moins.
Luke Skywalker avait des enfants dans mon épisode. En les laissant le matin, il leur dit, “il y a un problème dans notre empire. Les forces du mal ont pris le pouvoir. Je vais essayer de régler ça et je reviens. Le conseil des Sages pensent qu’il faut agir maintenant. Soyez sages vous aussi et obéissez bien à votre mère. Que la force soit avec vous !”
Ensuite je courrais. Il y avait les champs de blés helvètes et puis une autre image qui se superposait. Je finissais par apercevoir à l’horizon les volutes de sables, les braises encore chaudes, les bâtiments détruits de Gaza. La chaleur pesait mais l’énergie dans mon corps était sans limite.
Il y avait une musique dans l’air. Quelque chose d’intense qui montait. Des cordes qui faisaient vibrer l’espoir.
Soudain je compris ce qui était en train de se passer. Nous étions des millions à s’approcher ainsi du brasier. Mus par le même désir d’idéal. Des millions de bras, de jambes, de visages arrivaient enfin. La rumeur de notre armée d’anges laissa les colères et les douleurs du champ de ruines dans un silence, une stupeur où chacun d’eux savaient que c’était enfin finit.
L’instant d’après je tenais contre moi l’un de ces enfants qui attendait ses parents et la mort depuis des milliers d’années.
Un jeune homme bardé de munitions laissa alors tomber son fusil et fit un pas sur la rue. Ses frères le suivèrent.
Joël, son regard bleu qui plonge au coeur, vint caresser son visage. Pour l’aider à relever sa tête qui avouait enfin les douleurs.
Les millions de femmes et d’hommes s’étalèrent comme un rosier sur un mur gris, auprès de ces âmes abîmées. Ils trouvèrent naturellement le geste pour chacun. Celui qui comprend l’indicible horreur. L’indicible peine.
Quelques mois plus tard, beaucoup étaient restés pour accompagner les premières plantations. Les premiers pas ensemble.
Partout dans le monde, ce moment fût ressenti comme sacré. Il n’y avait plus un endroit du monde qui ne fût pas inspiré dans sa chair par le frisson qui avait parcouru Gaza.
La Terre où l’Amour a révélé au coeur des Hommes, et par les Hommes, sont pouvoir.
Bref, mon conseil du jour, à moi-même, croyez les histoires dans vos têtes si elles vous font du bien. Le reste, c’est la vie qui décide.
A demain, très très loin… 55km. Waldheim.
PS : content de vous retrouver
Antoine VERNIER, sociologue, vit à Angers dans une cabane sans eau et sans électricité.
En 2022, il court 23 marathons de suite jusqu’à Davos. De ce voyage, il réalise un documentaire « Et si on parlait d’amour !? » et en écrit un livre qui porte le même titre.